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Ces objections sont légitimes. Pourtant l’exercice définitionnel, pour ingrat
qu’il paraisse, peut nous éclairer sur ce que nous vivons et sentons.
Mais d’abord, de quel amour est-il question ? On parle parfois d’amour de
l’humanité ou d’amour divin. On parle aussi d’amour de la musique ou de
l’andouillette. De l’amour maternel ou paternel. Tous ces amours ne relèvent
pas de la même catégorie. Après tout, il y a des langues où ce n’est pas le
même mot qui désigne ces différents sentiments. On se contentera donc
ici de définir l’amour le plus problématique, celui de l’amoureux, celui au-
quel on se réfère quand on parle d’histoire d’amour, de déclaration d’amour,
de chagrin d’amour ou de chanson d’amour. Car cet amour-là occupe une
place centrale (n’est-ce pas ?) dans la vie des êtres humains et dans toutes les
cultures du monde.
À PREMIÈRE VUE, ON POURRAIT DIRE
OU CROIRE QUE L’AMOUR EST UNE SORTE
D’AMITIÉ À LAQUELLE S’AJOUTE UNE AUTRE
COMPOSANTE ESSENTIELLE, LE DÉSIR.
Comme l’amitié, l’amour est une relation élective à autrui. L’amitié est une
relation singulière à l’ami en tant qu’il est cet ami, comme l’amour est une
relation à l’élu, lui et non un autre. (De l’amitié, Montaigne dit : “Parce que
c’était lui, parce que c’était moi.”) Je l’ai choisi, nous nous sommes choisis.
L’ami est un “autre moi-même”, selon la belle formule d’Aristote. Cela ne
signifie nullement quelqu’un qui me ressemble. L’ami est plutôt celui qui
m’aide à m’apparaître comme je suis. En me confiant à lui, je comprends ce
que j’éprouve. Il me permet de ne plus coller immédiatement à ce que je vis,
à ce que je pense et à ce que je fais, mais de prendre conscience que je le
vis, c’est-à-dire que je le pense et que je le fais, en le partageant avec lui. Son
regard est la médiation réflexive entre moi et moi-même. Il en va de même
de l’aimé : l’amoureux ne fait-il pas généralement sien le monde subjectif de
l’aimé ?