Les Étincelles du Palais de la découverte
La médiation scientifique
Découvrez le futur Palais
Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverte.
Durant les travaux de rénovation du Palais, les équipes de médiation scientifique se sont installées aux Étincelles, dans le XVe arrondissement de Paris. À l’automne 2023, d’étranges phénomènes se succèdent aux abords et à l’intérieur du bâtiment, suscitant d’abord la stupeur puis nombre d’interrogations. Comment expliquer ces événements ? Pourquoi se produisent-ils dans ce lieu précis ? Qui en est l'auteur ? Délaissant un temps le Palais d’Antin, nos deux Esprits de l’art et de la science se retrouvent plongés au cœur de l’enquête…
Personnages :
Les esprits du Palais Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverte Épisode 1 : Étincelles et feux follets
Scène 1 : Chez FlorenceMyriam : Tiens, maman, t’es là ?Florence : Oui, j'suis rentrée plus tôt… Je n’ai pas écouté la dernière table ronde, j'étais trop fatiguée ! Et toi, ma chérie, ta rentrée au lycée, ça a été ?Myriam : Ça va, j’aime bien ma classe. Je me retrouve avec cinq filles qui étaient avec moi l’année dernière, donc c'est trop bien ! Et sinon, la prof de physique nous a parlé d’un truc qui s’est passé hier, dans le 15e, dans les locaux du musée, là, sur lequel tu prépares ton reportage…Florence : Le Palais de la découverte ?Myriam : Ouais, d’ailleurs je te rappelle que tu devais m’y emmener avant que les travaux commencent, et que j’attends toujours.Florence : Pour le Palais de la découverte, il va falloir que tu patientes encore un peu : il est en pleine restauration. Mais tu veux parler des Étincelles ? Le lieu où le Palais continue durant les grands travaux ?Myriam : Ben, t’as pas vu, sur Instagram ? C’est la folie, toutes les images qui circulent depuis ce matin !Florence : Mon portable était éteint toute la journée… J’ai bien vu que j’avais pas mal de messages mais je ne les ai pas consultés… [Consultant son écran.] Ah oui, tiens d’ailleurs, j’ai un message de Marie, la médiatrice scientifique que j’ai interviewée là-bas, un message de ma rédac’ chef…Myriam : Non mais j'te jure, t’as raté un truc [scrollant sur Instagram] !… Tiens, regarde ! C’est ça, là… C’était la nuit dernière. Des gens qui passaient ont vu des lumières multicolores s’élever du sol, là…et là… Tu l'as vue celle-là ? Y’en a qui disent que c’était des feux follets…Florence [riant] : N’importe quoi ! Tu sais, des feux follets, on n’en voit presque plus aujourd’hui : c’était surtout avant, avant le XIXe siècle, qu’on les observait près des marais et des cimetières…Myriam : Bah justement, tu m’as pas raconté qu’il y avait un cimetière juste à côté ?Florence : Non mais ça n’a rien à voir, ce genre de cimetière n’est pas du tout propice à l’apparition de feux follets. Ce qui est à l'origine du phénomène, c'est la décomposition organique, la pourriture. Ça produit la phosphine, le diphosphate et le méthane et c'est ça qui provoque le phénomène. Aujourd’hui, avec l’assainissement des marais et des cimetières, il se font de plus en plus… Myriam [l’interrompant, toujours sur ses photos] : Et celle-là… Regarde ! Et là, t’as vu ?… C’est beau hein ?Florence : C’est vrai que c’est étrange, ces lumières. Et joli, aussi ! Là, tu vois l’espèce de rayon jaune, bizarre ? Et c'est vrai que sur celle-là, le vert, ça peut laisser imaginer un feu-follet.Myriam : T'en as déjà vus, toi ?Florence : Non, j’ai traité la question mais sans en avoir jamais vus. Comme je te le disais, c’est de plus en plus rare. Par contre, j’ai VRAIMENT vu des lucioles et ça m’avait fasciné… Bref, allez, maintenant il faut vraiment que je lise tous mes messages et que je m'attèle à mon enquête !
Scène 2 : Les Esprits aux ÉtincellesDelphine : Bienvenue aux Étincelles, mon cher Fred !Fred [sursautant] : Ah Delphine ! Tiens, tu es là aussi, toi ? Delphine : Comme on se retrouve ! Moi aussi j’ai entendu parler de cette histoire de feux follets, la nuit dernière, je n’allais quand même pas rater ça… J’étais sûre de te trouver là, à vrai dire.Fred : Oui. Tu as vu, à la pause déjeuner, sur le chantier ? Les ouvriers n’arrêtaient pas d’en parler, et de se passer leurs téléphones ! J’ai accouru tout de suite. C’est magique en photo, ces feux follets !Delphine : Eh bien non, justement, ça ne peut pas être des feux follets. Impossible !Fred : Ah oui ? « Impossible », madame l'Esprit des sciences ? Vous êtes bien catégorique !Delphine : Exactement, monsieur l'Esprit de l'art... Aucune probabilité pour que cela se produise ici, dans le 15e arrondissement de Paris.Fred : Non mais je sais, je te faisais marcher ! J’ai cru comprendre que l'équipe de médiation était déjà sur une piste sérieuse…Delphine : Ah oui, c’est vrai ? Raconte !Fred : Opff [blasé] ! Si j’ai bien compris, il s’agirait d’un banal phénomène d’induction électromagnétique. J’ai assisté à la démonstration plus d’une fois au Palais de la découverte.Delphine : Enfin, Fred, sois plus précis ! Un phénomène provoqué par quoi ? Par qui ?Fred : Eh bien, les caméras de surveillance – qui perçoivent des choses que même nous, Esprits, ne pouvons pas voir – ont tout filmé… J’étais là [sur un ton mystérieux]… J’ai vu cette silhouette qui venait disposer de petits tabourets, surmontés d’un drôle d'objet tout autour des Étincelles, sous un banc ou dans un plantoir… Delphine [l’interrompant] : Eh dis donc, regarde ! Ce n'est pas cette femme, là, dans le hall derrière le garçon avec le sweat vert flashy ?Fred : Quelle femme ?Delphine : Elle ! Cette femme qui posait des questions à tout le monde, là, dans notre Palais de la découverte, juste avant la fermeture pour travaux… Fred : Tu as raison ! On dirait bien que c’est elle…Delphine : Elle se dirige directement à l’accueil… et c'est Emmanuel, le médiateur en physique, qui vient vers elle.[On quitte les Esprits] Le physicien (médiateur scientifique) : Bonjour Florence, ça va ?Florence : Oui. Et vous, Emmanuel ? C’est intrigant, dites donc, ce qui s’est passé la nuit dernière…Fred [à Delphine] : Quel bruit ça a fait, sur leurs « réseaux sociaux », ces feux follets ! Enfin, « bruit », c’est une façon de parler. Aujourd’hui, on dit « buzz ».Delphine [chuchotant, comme pour ne pas se faire repérer] : J'te dis que ça ne pouvait pas être des feux follets ! En tout cas, je suis bien curieuse de comprendre comment ils sont parvenus à cette hypothèse, ici…
Scène 3 : Entretien avec Emmanuel Sidot, médiateur scientifique en sciences physiquesLe physicien (médiateur scientifique) [présente l’expérience d’induction électro-magnétique] : ... Ça donne électricité... À partir de là, dans ce circuit-là, dans le socle, j'ai du courant alternatif. Le courant, c'est de l'électricité en mouvement, donc ça fait du champ magnétique, du magnétisme. Et comme c'est du courant alternatif, qui va et vient, c'est du courant qui change, ça fait un effet magnétique qui change, un effet magnétique en mouvement, et qu'est-ce que ça donne ? Ben dans le circuit au-dessus... Florence [une fois l’expérience terminée] : Donc, si je comprends bien, ce qu’on a pris pour des feux follets, ce sont en fait des petits chandeliers allumés à distance au moyen d’une télécommande ?!?Le physicien : C’est l’hypothèse la plus probable, en tout cas. Les lumières, c'est des lampes électriques, et ça s'élève à cause du phénomène d'induction électro-magnétique. Tu modules le courant et tu changes l'élévation du truc et ça donne cet aspect flottant. Maintenant, oui, bien sûr, comme n'importe quel appareil électrique, tu peux le télécommander à distance. Un smartphone, un peu d'électronique et c'est joué. Florence : Ça ne peut pas être un procédé chimique plutôt ?Le physicien : Ben, on s’est beaucoup concertés, depuis ce matin, avec les collègues, de chimie et de bio. Ça pourrait être un phénomène chimique. Il y a plein de réactions luminescentes. Tu mélanges deux produits, deux composants et – paf ! – ça fait de la chimiluminescence. T'as des trucs fluos, qui réagiraient à de la lumière extérieure, t'as des trucs phosphorescents, pareil ! T'as mille sortes de luminescences mais ... il faudrait injecter des produits... ou alors avoir une source de lumière extérieure... Tu vois... Tout cela est un peu lourd. Et puis, surtout, ça n'expliquerait pas pourquoi ça monte et ça descend comme ça le fait. Et pour l'instant, là ça c'est de la physique, c'est plutôt le phénomène que je t'ai montré. Or ce phénomène-là, il génère du courant capable d'allumer les ampoules. Donc, oui, ça pourrait être autre chose, ça pourrait être ça. Mais on est relativement d'accord, là, les collègues et moi, que ce que j'ai, c'est plus simple. Et la personne qui a fait ça, elle s'y connaît, elle bidouille bien. Elle a dû faire intelligemment simple... Florence : Vous avez recueilli des indices ? Le physicien : On ne voit pas grand-chose sur les images de vidéosurveillance, on ne voit rien même. Par contre, si on recoupe avec les images et les vidéos retrouvées sur le net, alors là, moi il me semble que c'est assez clair : la façon dont ça monte et ça descend, parfaitement à la verticale, dont des groupes de lumières restent sur le même plan. Tu vois, là ? On dirait presque une forme géométrique ! Moi j'aurais tendance à dire que c'est sur un cercle, que ce sont des lampes sur un cercle. Et puis, elles s'allument d'un coup. Du coup, moi je pense que c'est des LEDs, contrairement à mes lampes à incandescence. Et surtout, c'est quand elles montent, qu'elles s'éteignent avant de réapparaître juste en dessous. On est bien d'accord que c'est grosso modo le genre de mouvement que je t'ai montré. Et puis il y a le bruit ! Tu sais, les deux témoins, ils nous ont parlé d'un espèce de sifflement strident. En un peu plus aigu, c'est celui que je t'ai donné. Alors je ne te dis pas que c'est ça, mais c'est ce qui a de plus probable. Florence : Dites-moi, qu’est-ce qu’on entend exactement par « luminescence » ?Le physicien : La luminescence ? Dans un atome, t'as un noyau au centre, protons, neutrons, et puis des électrons qui tournent autour. Et, à chaque fois qu'on envoie de l'énergie, qu'on fait un truc à ces électrons, ils peuvent sauter sur une orbite plus lointaine. Voyez, comme les orbites des planètes. Et, à un moment, l'électron qui a été « excité », c'est le mot consacré, va redescendre à son orbite d'origine. Donc il va rendre de l'énergie. On lui a donné de l'énergie, il est monté. Hop ! Il redescend, il en rend. Et il en rend, en général, s'il y en a assez, sous forme de lumière. C'est ça le phénomène général de luminescence. Et grosso modo, toutes les sources de lumière marchent sur ce principe fondamental. Il y en a tout un catalogue, en fonction de, typiquement, la façon dont on va exciter, donner de l'énergie à ces électrons. Ça peut être une autre source de lumière, c'est la fluorescence, c'est la phosphorescence, à des détails près. Avec des électrons, c'est la cathodoluminescence, l'électroluminescence des LEDs. Et il y en a une foule de façons de donner de l'énergie à ces électrons. Il y a toutes ces sortes de luminescence. Et, au-delà de ça, toutes ces variétés, c'est plutôt un truc de chimiste. Florence : Attendez… Je repense à notre expérience. Si je vous suis bien, il est nécessaire d’avoir un générateur placé sous le chandelier… Le physicien : Carrément, il faut un générateur... Et même un plutôt costaud ! Ça demande de la puissance ces trucs-là.Florence : Or, sur les images, on voit bien que les lumières sont à 20 ou 30 centimètres du sol… Mais on ne voit pas la silhouette déterrer quoi que ce soit, n’est-ce pas ? Est-ce que vous êtes allés fouiller dans le sol aux endroits où la silhouette a placé les chandeliers ?Le physicien : Alors, on s'est baladé ce matin, on a regardé vite fait. Et c'est vrai que, vu la taille du générateur, il faut qu'il soit caché quelque part…
Scène 4 : Chez la journalisteFlorence [finissant une conversation avec Myriam qui a débuté en notre absence] : … Et donc, dans le plantoir et sous le banc, enterrés dans le sol, on a bien retrouvé de petits générateurs aux emplacements où la silhouette avait installé les chandeliers… Les autres endroits étaient hors champ, on n’a pas pu les localiser avec précision… Myriam : Et sur les images de vidéosurveillance, on voit les lumières, donc ?Florence : Oui. Bien que les images soient en noir et blanc. Quelques minutes après que la silhouette est sortie du champ, on aperçoit clairement des lueurs, qui semblent flotter dans les airs, exactement sur les lieux en question… Le phénomène s’est produit trois ou quatre fois en une heure et après, pfuitt. La même silhouette revient – impossible de distinguer son visage, elle portait un masque et une capuche – et hop, hop, en quelques minutes, elle remballe le matériel et emporte le tout hors du champ de vision des caméras.Myriam : C'est une dinguerie quand même, ce truc ! Et elle a commandé tous ces phénomènes à distance ?Florence : Au moyen d’un ordinateur vraisemblablement, oui.Myriam : Du coup on n’a aucune trace, aucun indice ?Florence : Non, à part ces deux générateurs qu’on a retrouvés dans le sol…Myriam : C’est bizarre qu’elle les ait laissés, d’ailleurs, non ? Ça colle pas trop avec la précision du reste de l’opération, tu trouves pas ?Florence : Je suis carrément d'accord avec toi. Mais bon, peut-être qu’elle a été empêchée de tous les déterrer, qu’elle a été surprise par quelqu’un ? On n’a recueilli aucun témoignage là-dessus. Quoi qu'il en soit, ça corrobore l’hypothèse de l’induction électromagnétique. L’équipe des Étincelles avait vu juste ! En tout cas, tu vois qu’on est bien loin de tous les commentaires farfelus qui ont envahi les réseaux… Et pourtant, on n'a toujours pas plus de mobile.Myriam : T'as plus d'excuses, tu vas être obligée de m'emmener aux Étincelles pour que je puisse mieux comprendre tout ça !Florence : C’est vrai que je vais devoir y aller pas mal ces jours-ci. Comme je le craignais, on m’a fait comprendre que ce serait bien de pouvoir avancer la date de diffusion de mon enquête…Fin de l’épisode 1.
Les esprits du Palais Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverte Épisode 2 : L'autre esprit du Palais
Prologue Florence [se parlant à elle-même] : Bon alors, si je résume la situation : dans la nuit du 1er au 2 septembre, de mystérieux phénomènes lumineux se sont produits aux abords des Étincelles, le site ouvert par le Palais de la découverte dans le 15e arrondissement pendant les travaux de rénovation du Grand Palais. Ces phénomènes n’ont pas duré longtemps, mais suffisamment pour faire le tour des réseaux sociaux. L’équipe des Étincelles a rapidement élucidé l’énigme : il s’agirait d’un phénomène d’induction électromagnétique, provoqué à distance par une mystérieuse silhouette noire que les caméras de vidéosurveillance ont filmée. On a d’ailleurs retrouvé – grâce à moi – de petits générateurs dans le sol qui confirment cette hypothèse. Mais ça ne me dit pas à quoi tout cela rime… [Se ressaisissant.] Bon, en attendant, j’ai promis à Myriam de l’emmener aux Étincelles…
Scène 1 : À l’intérieur des Étincelles[Au Palais de la découverte. On entend l’exposé de criminalistique du médiateur scientifique Ludovic Fournier qui s'entremêle à la conversation des Esprits.]Le médiateur scientifique : Et vous êtes à peine arrivés que j'ai déjà une question pour vous. À votre avis, lorsque l'on fait de la criminalistique, que fait-on ? Florence [chuchotant à l’oreille de sa fille] : C’est Ludovic, Ludovic Fournier, le médiateur scientifique en chimie dont je t’ai souvent parlé.Une personne dans le public de l’exposé : On cherche des indices pour trouver le coupable ou les coupables.Le médiateur scientifique : On cherche des indices pour trouver le ou les coupables. Oui. D'autres idées ? Une personne dans le public de l’exposé : On mène des enquêtes ? Le médiateur scientifique : On mène une enquête. Alors, une enquête sur quoi ?Delphine : Tiens, Fred ! Tu es venu écouter Ludovic ?Fred : Aussi incroyable que cela puisse te sembler, je ne l’avais encore jamais écouté dans l’exposé de criminalistique… Une bonne occasion de venir traîner aux Étincelles !Delphine : Il faut dire que c’est génial de pouvoir se téléporter en une seconde de l’autre côté de la Seine, non ? L’autre jour, je me disais que c’était quand même formidable que toi, l’Esprit de l’art, et moi, l’Esprit de la science, on puisse partager ça ensemble. Qu’il y ait un événement marquant de l’histoire de notre Palais que tu n’auras pas vécu avant moi…Fred : Oui, moi aussi je trouve ça formidable ! C’est… émouvant ! Fred : Après restauration, quel lustre il va avoir, notre Palais ! Tout est supervisé par des architectes des Monuments historiques, avec une foule de corps de métiers et d’artisans : des doreurs, des sculpteurs, des restaurateurs… La rotonde du Palais de la découverte va resplendir !Delphine : Ça fait tellement envie ! Fred : Oui. Du point de vue architectural, ce bâtiment des Étincelles est aussi une réussite. Tout ce bois clair, c’est fort agréable... Delphine : C’est ça, l’écoconception !Fred : Dis-moi, Delphine, tu pourras me réexpliquer ce principe et cette manipulation de l’induction électromagnétique dans l’affaire du 2 septembre ? Tu sais, les feux-follets-qui-ne-sont-pas-des-feux-follets ?[L’exposé se termine.]Le médiateur scientifique : Des choses qui sont un petit peu différentes dans la réalité. On aura le temps un petit peu d'en discuter.Florence [à sa fille Myriam] : Moi, ce que j’aime ici, c’est la manière dont on a réemployé des éléments de l’ancien Palais. Tu vois les patères colorées au mur ?Fred [à Delphine] : C’est fou, c’est exactement ce que j’allais dire ! Ça ne te rappelle pas une certaine exposition sur l’histoire géologique de la Terre, il y a quelques années ?Delphine : T'as l’œil, dis donc… et une bonne mémoire ! J’ai bien remarqué par contre ces parquets et tous ces éléments de menuiserie de l’ancien Palais qui ont été réutilisés un peu partout. C’est bien ingénieux, de recycler comme ça… Ici, c’est exotique, et en même temps, j’ai l’impression d’être à la maison… Tu as remarqué qu’il y a des nouveaux exposés ? J'te conseille celui sur les plantes carnivores.Fred : Oui, surtout la soirée sidérale autour du télescope James Webb… J’ai rarement vu le Planétarium comme ça ! Assister à la naissance de toutes ces étoiles, nichées dans leur cocon de poussière…Delphine : … par la grâce des infrarouges. Moi aussi j’ai trouvé ça sublime !Fred : Époustouflant ! Et à la pointe des nouvelles découvertes : James Webb, c’est une révolution, ai-je cru comprendre !Delphine : Tiens, Madame la journaliste et sa fille s’en vont. Ça a eu l’air de drôlement l’intéresser, la petite, l’exposé de criminalistique…Fred : Peut-être a-t-on suscité une nouvelle vocation ?[On entend Myriam parler à sa mère, alors qu’elles se dirigent vers la sortie.]Myriam : Cet exposé, ça donne vachement envie de travailler dans la police scientifique, tu ne trouves pas ? Collaborer avec toutes les autres disciplines scientifiques pour aider à la résolution d’une enquête…Florence : Et tu choisirais quelle spécialité ?Myriam : Mmm… la chimie, je crois.Florence : Pour révéler les traces de sang, hin hin hin [ricanement sardonique]… Tu te rappelles les phrases d’Edmond Locard, qui étaient projetées en introduction de l’exposé de criminalistique ?Myriam : C’était qui, déjà, lui ?Florence : Le professeur de médecine légale qui a fondé le premier laboratoire de police scientifique au monde. Le médiateur nous en parlé au début… J’ai trouvé ces citations intéressantes, je les ai notées. Je me suis dit que ça allait m’aider pour mon enquête : « Nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser des marques multiples de son passage. Tantôt le malfaiteur a laissé sur les lieux les marques de son activité, tantôt par une action inverse, il a emporté sur son corps ou sur ses vêtements les indices de son séjour ou de son geste. »Myriam : Mais tu ne m’avais pas dit qu’on n’avait retrouvé aucune trace, justement ?Florence : C’est vrai. J’ai re-regardé les images, je suis retournée inspecter les lieux où la silhouette est passée, mais je n’ai rien trouvé… Tu veux que j'te montre ?[Elles s’éloignent.]Fred : Tiens, regarde par la fenêtre : elles s’éloignent un peu... Peut-être qu’elles font une pause au soleil entre deux exposés… Elles farfouillent par terre sous un banc…Delphine : Viens, approche-toi, cette fenêtre est ouverte. Ils ont d’ailleurs l’air de pas mal apprécier ça, les humains, ce qu’ils appellent « la tiédeur de l’automne »… J’aimerais tellement savoir quelle sensation ça fait !
Scène 2 : À l’extérieur des Étincelles Myriam : Maman, faut que j'bouge, j’ai cours dans une heure ! C’était vraiment trop bien en tout cas les Étincelles, merci de m’y avoir enfin emmenée ! Tu fais quoi toi ?Florence : Moi ? Je crois que je vais m’asseoir, faire une pause sous les arbres pour réfléchir un peu à tous ces éléments…Myriam : Bon, alors à ce soir !Florence : Tu rentres vers quelle heure ?Akimou : Ah ah ah, ils sont tous pareils ! Les miens, c’est la même chose.Florence [surprise] : Oups, pardon, vous m’avez fait peur, je n’avais pas vu que vous étiez là… Bonjour… Vous… vous êtes agent de sécurité ici ? Akimou : Oui, depuis l’ouverture du site… Florence : Je ne vous avais encore jamais vu !Akimou : Vous ne m’avez jamais remarqué, mais moi je vous ai déjà aperçue plusieurs fois ici… Vous êtes scientifique ?Florence : Journaliste.Akimou : Ça n’est pas tout à fait la même chose…Florence : Vérifier ses hypothèses et recouper ses sources, disons qu’il peut y avoir des points communs avec la démarche scientifique… Mais aujourd’hui on est pris par l’immédiateté, la réactivité, le temps réel… au point de tordre la réalité. Ça va trop vite pour moi !Akimou : Après tout, qu’est-ce que c’est, la réalité ? Le vrai, le faux… Mais vous avez raison : ça va trop vite.Florence : Je m’appelle Florence et je prépare un reportage sur les Étincelles et le projet du nouveau Palais de la découverte. Je me suis un peu spécialisée dans le journalisme scientifique depuis quelques années. Akimou : Enchanté. Akimou ! Vous pouvez m’appeler Akimou.Florence : Enchantée. Je me demandais, Akimou… Vous étiez de garde durant la nuit du 1er au 2 septembre ? Akimou : Vous voulez parler de cette fameuse nuit dite « des feux follets » ?Florence : Oui, mais l’équipe de médiation m’a bien confirmé que les feux follets sont des phénomènes lumineux provoqués par une réaction chimique entre du méthane et des phosphines : impossible ici.Akimou : Je le sais bien. Vous devriez dire « SERAIENT des phénomènes lumineux ». Car ce ne sont que des suppositions. Ils sont très difficiles à étudier, et le phénomène n’a jamais encore été formellement expliqué scientifiquement. Les feux follets sont largement une question de croyances… Mais pour répondre à votre question : non, je ne les ai pas vus. Je travaille rarement de nuit. En tout cas, ce que je vois, ce sont de plus en plus de gens qui prennent en photo les Étincelles, ça, c’est sûr… Évidemment, étant sur place, j’ai suivi de près toute la résolution de l’affaire : j’ai vu les images de vidéosurveillance, et mes collègues ont eu droit à une démonstration de l’expérience pour pouvoir renseigner les éventuels curieux.Florence : Et pas vous ? Akimou : J’y ai assisté aussi bien sûr, mais je connaissais déjà ... l’expérience… Je dois vous laisser à présent, c’est la fin de ma pause.Florence : Ah très bien… Merci de l’avoir passée avec moi.Akimou : C’était un plaisir. À bientôt !
Scène 3 : Chez Florence [On entend le journal télévisé.] Le présentateur du journal : En ce deuxième mardi du mois d’octobre, on célébrait aujourd’hui sur toute la planète le Ada Lovelace Day, la journée Ada Lovelace, destinée à promouvoir le rôle des femmes en sciences. Melissa Gourzi, qui était donc Ada Lovelace ?Melissa Gourzi : Eh bien, c'était une Anglaise, de son vrai nom Augusta Ada King, comtesse de Lovelace. Elle n’était autre que la fille de Lord Byron, oui, l’illustre et flamboyant poète romantique. Et ce fut surtout une mathématicienne au génie précoce, dans tous les sens du terme : même si elle n’avait que 36 ans à sa mort, en 1852, elle avait tout de même eu le temps de concevoir le premier programme informatique auquel elle a donné son prénom… Cent ans avant même l’apparition des premiers ordinateurs ! Quant à sa vie, à la fois étonnante et dramatique, elle a fait l’objet de plusieurs adaptations…Myriam [couvrant la voix de la présentatrice] : Eh oui, girl power ! Tu te rappelles, l’exposé de criminalistique l’autre jour ? C’était bien ! Je l’ai re-regardé sur YouTube, tu savais que c’était Ludovic Fournier qui…[L’interrompt la sonnerie un peu ringarde du téléphone de sa mère Florence.]Myriam : Maman, ta sonnerie, c’est vraiment pas possible.Florence : Tiens, quand on parle de science… C’est Akimou ! Il est étonnant, ce monsieur… Allô ? Bonsoir Akimou !Akimou : Bonsoir Florence, j’espère que vous allez bien. Il faut que vous veniez aux Étincelles demain, si cela est possible. Il s’est encore passé quelque chose.Florence : Quoi ? Que s’est-il passé cette fois ? Akimou : Euh…Florence : Demain à 9 heures ! Pas de problème, j’y serai.Fin de l’épisode 2.
Les esprits du Palais Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverteÉpisode 3 : Émilie, Sophie, Lise et les autres
PrologueFlorence : Il est vraiment étonnant, cet Akimou. Mais je me demande bien pourquoi il voulait que je vienne dès ce matin aux Étincelles : qu’est-ce qui a encore bien pu se passer là-bas, hier ? Après l’affaire des feux follets le mois dernier ? Et tout ça, à la date de la Journée Ada-Lovelace…
Scène 1 : Aux Étincelles Akimou : Bonjour Florence.Florence : Bonjour, Akimou.Akimou : Quelle histoire ! J’ai voulu vous en informer immédiatement, parce que…Florence : Qu’est-ce qui s’est passé ?Akimou : Eh bien, figurez-vous qu’hier, lors du premier exposé de la journée, dès que la salle a été plongée dans l’obscurité, on a vu apparaître un graffiti sur le mur, une inscription indéchiffrable qui luisait dans l’obscurité… Le phénomène s’est produit dans trois salles distinctes, avec un graffiti différent, à chaque fois.Florence : Un graffiti ?!Akimou : Oui, un graffiti ! Un tag, quoi. Mais venez, je vais vous montrer. Les médiateurs ont pris des photos.[Ils rentrent.] Akimou : Tenez ! Regardez ! Celui-ci, c’était dans la salle de physique et informatique.Florence [regardant)] : Pas de doute, c’est bien ce qu’on appelle un tag…Fred : Oui, pas de doute. [À Delphine.] Regarde, Delphine, c'est un tag. Delphine [à Fred] : Je sais bien, Fred, ça fait suffisamment longtemps qu’on traîne ensemble pour que je sois un peu au courant des derniers développements de la scène artistique… Mais ça signifie quoi ?Akimou : Tenez ! Celui-ci, c’était dans la salle de chimie et géosciences. Et celui-là, le dernier, dans la salle de biologie et mathématiques. Ils sont tous les trois de la même couleur. Et, selon toute vraisemblance, de la même main.Florence : C’est vraiment étrange… C’est illisible ! Et les médiateurs et les visiteurs qui étaient là, comment ont-ils réagi ? Ça a dû les surprendre !Akimou : Vous pensez bien ! Les médiatrices et les médiateurs ont été pour le moins interloqués… Ils ont dû garder tout leur sang-froid pour expliquer au public, tout aussi surpris de découvrir cette inscription luisante au plafond et au mur, qu’il s’agissait d’une commande artistique… ou alors du résidu d’une série d’essais que les équipes du Palais avaient menés sur la luminescence…Florence [réfléchissant] : La luminescence… Mais qui a tracé ces graffitis ? Et surtout, quand ? Les équipes qui ont fermé les salles hier n’ont rien remarqué ?Akimou : Pas que je sache, non.Florence : Cela signifierait que quelqu’un s’est introduit de nuit dans les Étincelles ? C’est possible, ça ?Akimou : Hum... Cela me paraît très peu probable…[Les Esprits concluent la scène.] Fred : Dis donc, après les feux-follets-qui-n’en-sont-pas, des inscriptions mystérieuses… carrément fantomatiques. Moi, tout cela me rappelle l’époque de la vogue du spiritisme. Delphine : Qu’est-ce que tu racontes ?Fred : Tu n’as pas connu ça, toi ! Tu n’étais pas encore née : c’était à la toute fin du XIXe siècle… Tout le monde se mettait à faire tourner les tables pour entrer en contact avec les esprits, à essayer de photographier des ectoplasmes plus ou moins convaincants… Les scientifiques les plus sérieux s’y sont intéressés…Delphine : Oui, tu m’as déjà raconté. Camille Flammarion, Pierre et Marie Curie qui participaient au « groupe d'étude sur les phénomènes psychiques »…Fred : Tu te rends compte. Ces scientifiques ont tous été passionnés par le phénomène… Et même s’ils ont permis de démonter pas mal d’impostures, pas un n’a réussi à démontrer formellement que cela n’existait pas ! Même Marie Curie, désemparée après la mort de Pierre, a longtemps essayé d’entrer en contact psychique avec lui… Il régnait une atmosphère un peu… brrrr… spectrale en ce temps-là…
Scène 2 : Florence et le médiateur scientifique en chimie, Ludovic FournierFlorence : Et donc, c’est de la peinture fluorescente qui a servi à tracer ces graffitis ?Médiateur scientifique : Vu que les graffitis brillaient alors qu'il n'y avait plus aucune source de rayonnement extérieur, je pencherais plutôt pour de la phosphorescence.Florence : Ce n'est pas pareil ?Médiateur scientifique : Même si on confond souvent les deux, ce n'est pas tout à fait le même phénomène. Si on commence par le point commun, disons qu'une matière fluorescente, comme une matière phosphorescente, les deux sont capables d'émettre un rayonnement électromagnétique après en avoir absorbé un. Par exemple, aux Étincelles, on montre des objets qui sont capables de produire un rayonnement visible après avoir absorbé des rayonnements ultraviolets. Pour expliquer la différence entre les deux, cette fois-ci, il faudrait faire un petit peu de théorie. C'est un peu plus compliqué. Peut-être que je peux me permettre un raccourci ?Florence : Oui, oui, sans problème.Médiateur scientifique : Disons que dans une majorité des cas, les matières fluorescentes vont s'arrêter de briller lorsqu'elles ne sont plus stimulées, alors que les matières phosphorescentes vont continuer de briller encore un certain temps, même quand on cesse la stimulation. Bon, ça reste une première approximation expérimentale. Si on voulait vraiment être rigoureux, il faudrait faire un petit peu plus de théorie, mais disons que c'est une bonne première approche. Et pour en revenir au graffiti, je pense qu'ils ont été faits avec de la peinture phosphorescente. Ils ont en quelque sorte absorbé la lumière pendant que tout était allumé et ils ont continué de briller. Et quand on s'est mis dans le noir, cette brillance devenait visible.Florence : Un peu comme les petites étoiles qu'on met au plafond des chambres d'enfant et qui continuent de briller une fois dans le noir ?Médiateur scientifique : Oui, tout à fait. Et d'ailleurs, même pour la petite anecdote, l'un des premiers à avoir fait la distinction théorique entre la fluorescence et la phosphorescence, c'était Francis Perrin. Francis Perrin, qui est le fils de Jean Perrin. Et Jean Perrin, c'est l'un des pères fondateurs du Palais de la découverte en 1937.
Scène 3 : Le soir même, chez la mère et la fille Myriam : Alors maman, il s’est passé quoi, aux Étincelles ?Florence : Des inscriptions… Des tags luminescents qui se sont mis soudain à briller quand on a plongé la salle dans le noir… Ça s’est produit trois fois hier.Myriam : Des tags ? Ils étaient grands comment ?Florence : Oh, au premier abord, c’était comme des signes graphiques quelconques au format portrait, d’une cinquantaine de centimètres de haut, je dirais… Comme des enluminures. Regarde, j’ai des photos. Myriam : Mais c’est absurde…Florence : Regarde. Là, c’est dans la salle 2, de physique et informatique ; et là, dans la salle 1, de chimie et géosciences…Myriam : Attends, moins vite… Tu peux repasser celle d’avant ? Ce ne sont pas des lettres, là ?! Florence : Absolument. Au début on pensait que ça n’avait aucun sens. Puis un visiteur sur place que j’ai interrogé, qui s’y connaît un peu en graff et qui a l’œil, nous a expliqué qu’en réalité il s’agissait de lettres enchevêtrées, emmêlées les unes sur les autres, de façon un peu désordonnée. Ça m’a surprise. Je n’avais pas fait le rapprochement. Partant de cette information, j’ai réussi tout à l’heure à déchiffrer et lister toutes les lettres, et j’ai pu reconstituer... des prénoms ! Là, regarde par exemple… E… M… I… L… On a ÉMILIE !Myriam : Ah ouais ! Et l’autre, on dirait qu’il y a un S… un O… un…Florence : … P, H, I, E… SOPHIE ! Et le troisième... c’est LISE !Myriam : Ce sont des prénoms de médiatrices ?Florence : C’est ce que je pensais instinctivement aussi, mais c’est sûrement autre chose. Il y a forcément un lien entre ces prénoms féminins et le Palais de la découverte, mais difficile à dire, à ce stade.Myriam : Attends, j’essaye de regarder sur ChatGPT s’il peut nous aider.Florence : Ah ?! Tu utilises ChatGPT toi ?Myriam : Non mais maman, c’est carrément tout le monde qui l’utilise au lycée hein ! C’est trop bien, on lui pose plein de questions et il arrive souvent à nous donner les bonnes réponses pour nos exercices.Florence : Encore un outil qu’il serait bon de limiter : il est censé servir d’aide, pas à remplacer ta réflexion ni ton cerveau de jeune étudiante !Myriam [tapant dans ChatGPT] : Alors « Émilie, Sophie, Lise et Palais de la découverte à Paris 8e arrondissement, y a-t-il un lien ? »Voix ChatGPT : « […] Émilie, Sophie et Lise pourraient être des noms de personnes qui ont visité ou travaillé au Palais de la découverte. Cependant, sans plus de contexte, il est difficile de dire quel est exactement ce lien. »Myriam [lisant à voix haute] : « Le Palais de la découverte est un musée scientifique situé dans le 8e arrondissement de Paris », blablabla…Florence : Pas très convaincant, il te présente surtout le Palais de la découverte. Tu devrais... être plus précise... et rajouter les mots... « femmes » et « science » dans ta recherche, pour orienter davantage le résultat.Myriam [tapant dans ChatGPT] : Alors « Émilie, Sophie, Lise, femmes et science, y a-t-il un lien ? »Voix ChatGPT : « Oui, Émilie, Sophie et Lise peuvent être considérées comme des femmes dans le contexte de la science. Il est important de souligner que les femmes ont apporté des contributions significatives à la science tout au long de l'histoire, bien que leurs réalisations aient parfois été négligées ou minimisées… »Myriam : Ah bon ?! Je ne savais pas que les femmes scientifiques étaient zappées de l’histoire à ce point, c’est carrément injuste ! Florence : Attends une minute !… j’ai un doute. J’appelle Marie. Tu sais la responsable des projets de médiation du Palais. Je voudrais m’assurer que les prénoms ne sont pas ceux de médiatrices au sein de leur équipe et j'reviens !! Occupe-toi du dîner s’il te plaît, j’arrive.Myriam : Heu… d’accord.Florence [revenant après avoir téléphoné] : Mmm, miam, miam, dis donc, ça sent bon ! [Sur un ton triomphant] Émilie du Châtelet, Sophie Germain et Lise Meitner !Myriam [interloquée] : Heu, c’est qui, elles ?Florence : Ce sont exactement les noms que m’ont donnés Marie et sa collègue au téléphone. Je lui ai parlé de la liste des trois prénoms que j’ai réussi à décrypter, et il ne leur a même pas fallu cinq secondes pour faire le lien entre ces trois femmes : ce ne sont effectivement pas des prénoms de médiatrices, elle me l’a confirmé, mais ce sont en revanche toutes les trois des scientifiques remarquables, connues et reconnues dans le milieu, auxquelles le Palais de la découverte a d’ailleurs déjà consacré plusieurs événements. Les femmes scientifiques, c’est un sujet souvent évoqué dans les exposés ! Ce sont les réponses de ChatGPT qui m’ont fait tilt !Myriam : Ah, tu vois !Florence : Oui, mais c’est aussi un peu grâce à toi Myriam, parce que la pertinence des réponses dépend directement de la qualité des questions. Et si elles sont formulées clairement et bien contextualisées... Bon, au final, il faudra quand même toujours les vérifier.Myriam : Incroyable, maman ! Mais tu penses qu’elle s’y est prise comment, la personne qui a fait les graffitis ?Florence : Je ne sais pas. Elle a pu se faufiler à un moment... Ou, entre deux exposés, il arrive que les médiateurs s’éclipsent de la salle… Mais il aurait fallu aller sacrément vite… et avoir le geste sacrément précis… et avoir pas mal de bol ! Myriam : Ou alors, elle a fait ça de nuit ?Florence : Pas possible. Les caméras de surveillance l’auraient captée, ou alors il aurait fallu que la personne en question se fasse enfermer dans le bâtiment… En tout cas, deux phénomènes mystérieux qui se produisent en deux mois au même endroit, sans explication, c’est bizarre. Fin de l’épisode 3.
Les esprits du Palais Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverteÉpisode 4 : Mystères d'automne
Prologue Florence [se parlant à elle-même] : Après les feux follets, des graffitis. Décidément, il s’en passe, des choses, aux Étincelles ! Heureusement, l’équipe du musée a immédiatement réussi à mettre un nom sur chacun des prénoms ! Émilie du Châtelet, Sophie Germain, Lise Meitner : trois scientifiques… Mais à quoi ça rime ? Et comment diable la personne qui a tagué ça à la peinture phosphorescente a pu s’y prendre ? Est-ce qu’elle s’est laissée enfermer dans le bâtiment après la fermeture ? Est-ce qu’elle a fait ça dans la journée ? Les deux affaires – les lueurs de couleur et les peintures phosphorescentes – sont-elles liées ? Tout cela est bien mystérieux, et sans indice, franchement, il y a de quoi s’y perdre…
Scène 1 : Le rêve de Florence [On entend un extrait de l’exposé « Cerveau et idées reçues », enregistré lors de la Fête de l’Esprit critique, aux Étincelles, en 2023] : La question, c'est est-ce que ce qu'on va découvrir à l'intérieur de ces différents magazines, est-ce qu'on peut vraiment se fier à tout ce qui est écrit ? Est-ce qu'on doit prendre ça avec plus ou moins de pincettes ? Et qu'est-ce qu'on fait dire aux données scientifiques ? Et qu'est-ce qu'on ne devrait pas faire dire aux données scientifiques ? Florence : « Nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser des marques multiples de son passage »… « Tantôt le malfaiteur a laissé sur les lieux les marques de son activité, tantôt par une action inverse, il a emporté sur son corps ou sur ses vêtements les indices de son séjour ou de son geste. » Sophie Germain… Émilie du Châtelet… Lise Meitner…
Scène 2 : Akimou et Florence Dans le quartier des Étincelles Florence : Vous habitez le quartier depuis longtemps ? Akimou : Ah ! Depuis mon arrivée en France. Vous deviez être toute jeune. Aujourd'hui, je me sens autant enfant du 15e que du Congo. Florence : Ah, le métro Javel… J’avais un amoureux, autrefois, qui habitait au métro Javel… Akimou : Vous saviez que dans cet immeuble, là, a été tournée une séquence d’un film de... [Akimou entonne la musique du dessin animé de la Panthère rose.] ... la Panthère rose ! J’étais parmi les badauds quand Peter Sellers est arrivé… J’étais un grand admirateur ! [Avec un léger accent anglais.] L’inspecteur Clouseau… [Il rit.] J’ai partagé ça, ensuite, avec mes enfants. Florence : Ça m'fait plaisir, vous savez, Akimou, de me promener avec vous dans mon quartier. J’avais besoin de faire une pause, de prendre un peu de recul pour réfléchir… Et puis, par ce temps, l’automne à Paris est si beau !Vous savez, je suis heureuse de vous avoir rencontré. Et dire que s’il n’y avait pas eu ces phénomènes mystérieux, nous ne nous serions peut-être jamais croisés, aux Étincelles… Akimou : Mais vous n’auriez sans doute pas écrit un texte aussi bon que celui que vous allez rendre, j’en suis sûr. Se référer aux sources, ne jamais croire qu’on a fait le tour d’un sujet… Ne jamais chercher à faire dire aux gens ce qu’on a envie d’entendre, simplement les laisser raconter et les écouter… Plus vous venez aux Étincelles, mieux vous comprenez comment ça vit et comment ça fonctionne. Et vous voyez : vous gagnez, en prime, un soupçon de mystère... Florence : Akimou, vous êtes un sage... que voulez-vous ? D’ailleurs, je voulais vous demander : votre nom, « Akimou », il signifie quelque chose ? Akimou : Pour vous répondre, je vais devoir vous raconter une partie de ma vie…Florence : Allez-y ! J’adore écouter les gens me raconter leur vie et leur parcours !Akimou : Eh bien… En réalité, Akimou est un surnom qu’on m’a donné il y a longtemps : c’est la contraction d’une expression en swahili, Akili muhimu, qui signifie « esprit critique ». Akili Muhimu. Akimou, c’est comme ça que me surnommaient mes collègues du laboratoire de physique où j’avais commencé à travailler à l’université, dans les années 1960, à Brazzaville. Ah ! On formait une belle équipe et moi j’étais un peu celui qui cassait l’ambiance, qui les obligeait toujours à multiplier les expériences et les observations, à vérifier leurs hypothèses avant d’affirmer quelque chose…Florence : Vous avez bien raison. Aujourd’hui, on est tellement rapide que l’on s’en tient à l’hypothèse de départ. On la fait passer pour une vérité irréfutable alors qu’il faudrait apporter une preuve.Akimou : Vous savez, cela a toujours existé… Simplement, les réseaux sociaux ont décuplé cette tendance.Florence : Quel était votre domaine de recherche, à l’université ?Akimou : J’avais une passion pour la mécanique des fluides, et comme j’étais un tantinet présomptueux, je me suis beaucoup intéressé, à un moment, aux équations de Navier-Stokes, ces équations aux dérivées partielles non linéaires qui…Florence : … décrivent le mouvement des fluides newtoniens. Un des grands mystères de la physique. Vous n’aviez pas froid aux yeux ! Mais alors, qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ? Akimou : À cette période, malheureusement, mon pays était en proie à de graves troubles… On m’a accusé de désertion parce que j’avais quelque temps enseigné dans un pays voisin. On m’a affecté dans un collège au fin fond de la brousse… Je suis parti ; j’ai quitté Brazzaville et le Congo. Je suis arrivé en France et j’y ai trouvé un deuxième pays. Mais bien que j’aie gardé mon surnom, je n’ai jamais réussi à retrouver mon métier. Alors j’en ai appris d’autres… que j’ai toujours essayé de faire le plus consciencieusement possible…Florence : « Esprit critique »… Il y a de quoi s’arracher les cheveux, pour un esprit critique, par les temps qui courent, vous ne trouvez pas ?Et d’ailleurs, pour en revenir à eux : ces fameux phénomènes mystérieux, vous en pensez quoi ?Akimou : Pour être franc… je ne sais trop quoi en penser. Je cherche encore le sens de tout cela. On ne peut pas vraiment parler d’acte de vandalisme, car il y a quelque chose d’artistique, un vandale n’a pas besoin d’être aussi raffiné et aussi discret…Florence [levant les yeux au ciel] : Si seulement…Akimou [continuant sa réflexion] : … et en même temps, à quoi bon écrire des prénoms féminins cryptés à la peinture phosphorescente sur le mur des salles des Étincelles ? Un peu comme des signatures… Peut-être s’agit-il de messages ? Mais qui veulent nous faire comprendre quoi ?Florence : Hum... Des signatures, peut-être un message oui… ça doit être ça… Et puis surtout, comment s’y est-elle prise pour les écrire sans se faire voir, cette ombre masquée ?Akimou : Parce que vous croyez que les phénomènes du mois d’octobre et ceux de début septembre ont été produits par la même personne ? La silhouette à capuche ?Florence : Oui, j’ai le sentiment qu’il s’agit d’une seule et même personne. Il y a pour moi une même sophistication…Akimou : … une rigueur analogue dans le mode opératoire, c’est très juste… Mais cela reste une éventualité : il n’y a absolument rien qui permette de le prouver.Florence : Pas le moindre indice, non ! Juste une intuition…[Ils s’éloignent.]Akimou : Ah ! C’est déjà bien l’intuition ! Tout commence par l’intuition. L’important est de pouvoir ensuite établir une hypothèse, puis de la soumettre au contrôle de l’expérience et, à ce stade, nous avons si peu d’indices… et à peine plus de postulats…Florence : Pour le moment, je suis en peine de boucler mon enquête… Elle est, comme on dit, au point mort. [On entend des bruits de chantier.]Akimou : Ah, Beaugrenelle ! Je l’ai vu grandir, ce quartier. J’ai même un temps travaillé sur le chantier de l’immeuble que vous voyez là, construit par Jean Prouvé, quand même. Vous voyez le bâtiment Orion ? Il vient d’être rénové, d’ailleurs…
Scène 3 : Aux Étincelles, dans une des salles où ont été découverts les prénoms Delphine : Tiens, c’est là ! Tu l’aperçois, cette trace sur le mur ? Invisible à l’œil nu à moins d’être expert... et de s’approcher de très très près…Fred : Tu dis que c’est quoi, comme matière ?Delphine : Un mélange de gel à base d’acrylique et de poudre phosphorescente, composée de micro-cristaux à base d'oxyde d'aluminium, et dont les matières actives sont des terres rares, principalement le strontium et le deutérium. Les terres rares sont des métaux, c’est ce qui sert par exemple pour faire briller les aiguilles de certains réveils… C’était pendant l’expérience de physique…Fred : Mais on n’est pas dans la salle d’informatique, là ? Ah ! Pardon ! Je ne me suis pas encore fait à l’idée qu’aux Étincelles les disciplines se partagent les salles… Delphine : Franchement, le fait que les disciplines ne soient plus cloisonnées mais qu’elles respirent et dialoguent ensemble – les maths et les sciences de la vie, par exemple – je trouve ça formidable… Fred : Sans parler de la science et des arts… On appelle ça la « multidisciplinarité des espaces ». Et ça restera comme ça dans le futur Palais de la découverte : tout sera encore plus ouvert !Delphine : À propos du nouveau Palais, tu as entendu cette histoire d’objets qui auraient disparu ?Fred : Qu’est-ce que c’est que cette histoire, encore ?Delphine : Oh, j'n’en sais pas beaucoup plus. J’ai juste entendu, l’autre jour, dans une réunion, qu’il y avait certains objets qu’on n’arrivait plus à localiser dans les réserves… J’aimerais bien savoir s’il y a un passage qui nous permettrait d’y accéder, à ces réserves. Depuis le temps que je cherche ! Il doit bien exister quelque part ?Fred : Tu te rends compte ? On pourrait découvrir Bondoufle, ou La Charité-sur-Loire ! Mais quels objets ont disparu ? Tu le sais ?Delphine : Je crois qu’il était question de l’appareil d’électrostatique…Fred : Quoi ?!? Mais c’est pas possible ! Pas l’appareil d’électrostatique…Delphine : Oh attends, ce ne sont que des bruits de couloir, hein… De toute façon, ils ont été obligés de le démonter… Peut-être les différentes pièces ont-elles été dispersées par mégarde… C’est sûr que cela a été un déménagement d’ampleur, avec plus de 1 012 objets à recenser, classer, ranger…. Un travail monumental !Fred : Ce serait horrible… Quand j’y pense, j’aurais pu au moins deviner qu’il s’agissait de lettres à défaut de prénoms, là, sur le mur. J’aurais dû les décrypter plus tôt, ces signes graphiques, ces graffitis…Delphine : Tu crois que ton œil d’artiste n’est plus aussi aiguisé qu’avant ?Fred : À ton avis, ça peut vieillir, un Esprit ?[La conversation s’estompe et ce sont Florence et Myriam qui prennent le relais.]
Scène 4 : Myriam / Florence [On entend Myriam taper sur son clavier.]Myriam [lisant Wikipédia à sa mère] : … et Lise Meitner, c’était une Autrichienne. [Elle lit.] « Elle joua notamment un rôle majeur dans la découverte de la fission nucléaire, dont elle fournit avec son neveu Otto Frisch la première explication théorique. » Florence : Tu es sur Wikipedia, là ?Myriam : Ouais… Tiens, écoute ça : « Lise Meitner ne reçut jamais le prix Nobel, bien qu'elle eût été nommée 49 fois pour ce prix. » Tu te rends compte ?!« L'attitude du comité Nobel n'est cependant pas représentative de l'estime que lui portaient ses collègues. Ainsi, en apprenant que le prix Nobel de chimie 1944 revenait à Otto Hahn, le chimiste Dirk Coster écrivit à Lise Meitner : “Otto Hahn, le prix Nobel ! Il l'a certainement mérité. Mais il est dommage que je vous aie enlevée de Berlin”… » – [à sa mère] oui, parce que c’est lui qui l’a aidée à fuir l’Allemagne en 1933 – [elle marmonne, reprend la lecture] « "Sans cela, vous l'auriez eu également. Cela aurait certainement été plus juste." » C’est fou, quand même… 49 fois !Florence : Ouais. Bon, on peut remercier Jessica Wade. C'est une physicienne qui a rédigé les biographies de plus de 1 600 femmes scientifiques sur Wikipédia. Un travail de titan ! Je me rappelle, j’étais allée l’interviewer à Londres l’année dernière à ce sujet… Fin de l’épisode 4.
Les esprits du Palais Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverteÉpisode 5 : Diabolique luciférine !
Prologue Florence [se parlant à elle-même] : Je récapitule : 1/ Dans la nuit du 1er au 2 septembre, une mystérieuse silhouette provoque des phénomènes lumineux autour du site des Étincelles à partir d’un procédé d’induction électromagnétique extrêmement sophistiqué. 2/ Le mois d’après, trois prénoms féminins tagués à la peinture phosphorescente apparaissent sur les murs des Étincelles. Mon petit doigt me dit que les auteurs de ces deux interventions sont une seule et même personne. Mais pourquoi a-t-elle fait ça ? Quel est son mobile ? Ce n’est pas de la malveillance, ou une vengeance personnelle, je n’y crois pas un instant. Mais s’il s’agit de la même personne, pourquoi s’arrêterait-elle en si bon chemin ? Quelle sera sa prochaine trouvaille ? Et jusqu’où ira-t-elle ?
Scène 1 : Écoute du journal télévisé chez Florence et Myriam Le présentateur : « Where is Ada? » / « Où est Ada ? » : c’est la mystérieuse question que les Parisiennes et les Parisiens qui passaient hier soir à proximité des Étincelles ‒ nombreuses en cette soirée d’Halloween ‒ ont vu s’afficher en lettres fluorescentes sur un panneau, situé devant l’établissement. Les Étincelles, c’est l’annexe ouverte par le célèbre Palais de la découverte, dans le 15e arrondissement, avant sa réouverture une fois la rénovation du Grand Palais achevée. Un site qui avait déjà fait parler de lui sur les réseaux sociaux, à la fin de l’été, lorsque des passants avaient aperçu d’étranges phénomènes lumineux. Melissa Gourzi s’est rendue sur place. Melissa Gourzi : Aux Étincelles, ce matin, l’étonnement, et même la stupeur, étaient palpables après les événements de la nuit dernière. Car l’établissement dément toute implication quant à l’origine de l’étrange « performance » ‒ comment l’appeler autrement ? ‒ qui s’est déroulée la nuit dernière à sa porte. « Où est Ada ? », c’est effectivement la question que les passants ‒ parmi lesquels de nombreux enfants déguisés ‒ ont vu s’illuminer sur un panneau placé au bord du trottoir, précisément à la limite du champ des caméras de surveillance, qui n’ont filmé que des ombres. L’inscription, étonnante, presque menaçante ‒ en tout cas, inexplicable ‒, n’a été visible qu’une bonne dizaine de minutes. Et le plus étrange, c’est que l’image n’avait pas encore eu le temps de faire le tour des réseaux sociaux que le panneau avait disparu. Quelques minutes après que l’inscription se soit effacée, des passants ont encore aperçu une silhouette au visage et aux cheveux cachés, à l’allure plutôt féminine, prendre le tableau, le charger dans une camionnette et disparaître presque à la vitesse de la lumière.Le présentateur : Sur Instagram, en tout cas, c’était l’ébullition. On peut le dire, Melissa !Melissa : En effet, de nombreux clichés ont circulé, ce qui a donné lieu à un flot de commentaires, et même aux rumeurs les plus sordides. Certains prétendent qu’il s’agissait de sang et non de peinture… Les équipes des Étincelles et du Palais de la découverte analysent actuellement les très nombreux clichés, dont certains en gros plan, qui leurs ont été spontanément adressés depuis ce matin…Le présentateur : Face à ce nouvel incident, on repense forcément à cette affaire des feux follets qui avait déjà défrayé la chronique, le 2 septembre ? Melissa : Je n’ai pu recueillir aucun commentaire à ce sujet, mais il est certain que l’épisode est présent dans toutes les têtes. Nous devrions avoir quelques informations très prochainement. Sinon, permettez-moi de faire une mise au point, Jérémy : je voudrais préciser, à l’attention de nos auditrices et de nos auditeurs que, contrairement à ce qui vous a été dit, en l’occurrence, il ne s’agit pas de fluorescence mais de phosphorescence. Le présentateur : Merci pour cette précision, Melissa, et au temps pour moi. Nous restons connectés avec le 15e arrondissement, et nous comptons bien sur vous pour tirer au clair cette étrange affaire ! À moins tout simplement que ce ne soit la créativité des participants d’Halloween qui arrive à nous surprendre davantage chaque année ! Car il y en a eu, hier soir, des idées originales pour célébrer la veillée de la Toussaint. David Sanson, notre envoyé spécial, était hier à Saint-Amand-Montrond, dans le Cher…Florence : Non mais c’est quoi encore cette histoire ? Sérieusement, tu étais au courant ? Tu as vu quelque chose sur les réseaux ?Myriam : Non, rien du tout. J’avais des évaluations toute la journée, donc j’ai dû réviser à fond. Regarde de ton côté !Florence : Tu sais bien que je ne suis pas tellement active sur Instagram… De toute façon, on n’en saura pas plus. Il faut que j’aille sur place. Mais j’aimerais bien voir des images, quand même…
Scène 2 : Florence et le médiateur scientifique en chimie, dans un bar, près des ÉtincellesFlorence : Du luminol ?!Le serveur : … et encore un café ! Trois cafés, ça vous fera 12 euros, s’il vous plaît.Florence [on ne sait pas si elle s’adresse au serveur ou au médiateur] : Vous êtes sûr ?Le médiateur : Sûr à 100 % ? Non, mais par contre, vu ce que vous me décrivez, ça ressemble quand même beaucoup à la réaction chimique du luminol, un peu comme celle qu'on fait aux Étincelles.Florence : Ah oui, c'est vrai que vous avez déjà fait ce genre d'expérience devant du public.Le médiateur : Ouais, tout à fait. D'ailleurs, dans une de nos expériences, on éteint les lumières pour se mettre dans le noir et, dans un bécher, on va mélanger deux matières, du luminol avec du peroxyde d'hydrogène. Et quand on fait ça, il se passe rien. Après, on va ajouter une substance à base de fer, de fer sous forme d'ions, et à ce moment-là, le mélange se met à briller, parce que le fer sous forme d'ions va accélérer la transformation chimique du luminol et la libération de lumière. Mais on peut aussi en trouver… Florence : ... dans le sang.Le médiateur : Dans le sang, ouais, tout à fait. Et c'est la raison pour laquelle on va pouvoir utiliser le luminol sur des scènes de crime pour révéler des traces de sang qui ont potentiellement été effacées.
Scène 3 : Fred / Delphine Fred : Franchement, ça commence à devenir lugubre, ces histoires de phénomènes luminescents. Et même de sang, à présent… Ces prénoms énigmatiques aussi... Delphine : J’y songe, tu ne crois pas que ça pourrait être une performance artistique ? Un genre de happening ou d’intervention in situ ?Fred : De l’art ? Ça ?! Oui cela se pourrait… La performance est, par essence, un art éphémère... L’intention serait de... perturber, dans l’espoir de réveiller, bousculer les consciences ?Delphine : Franchement, qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? Un acte gratuit, unique, singulier comme celui-là ? Fred : … qui plus est très soigneusement élaboré, scientifiquement même !Delphine : Tout à fait. Des œuvres scientifiquement élaborées. Par quelqu’un qui se serait acharné à faire toutes ces recherches…Fred : … ou qui aurait d’abord été scientifique, avant de se risquer à devenir artiste…Delphine : … Oui, mais scientifique pluridisciplinaire alors, maîtrisant la chimie, la physique, la biologie : une perle rare !Fred : Pour un artiste, est-ce que c’est plus facile d’être pluridisciplinaire que pour un scientifique ?Delphine : Un artiste, ou alors UNE artiste ! Du moins, c’est mon sentiment. Comme il me semble évident qu’un fil relie les événements de la journée Ada Lovelace à ceux de Halloween. Fred : Est-ce que les apparitions lumineuses du 2 septembre font partie du même plan ? Cela reste à prouver… Il n’y a pas de prénoms, dans ce cas-ci.Delphine : Non, mais de la LUMIÈRE, oui.Fred : Et on est d’accord que ces prénoms désignent des femmes scientifiques ?Delphine : Je crois que cela ne fait guère de doute.Fred : Pourquoi crois-tu qu’il y a toujours moins de filles que de garçons dans les études scientifiques ? Delphine : Pour ça, il faudrait que tu poses la question à un humain. Il n’y a pas que la question du nombre, mais aussi de la place qu’on leur accorde…
Scène 4 : Myriam et Florence, de retour du caféMyriam : Donc si j’ai bien compris, il y avait un panneau sur lequel on avait écrit avec du sang « Where is Ada? » Du sang sur lequel un brumisateur a, à un moment précis, diffusé du luminol, ce qui a provoqué son illumination ?Florence : Oui, avant que tu nous rejoignes, Sarah, la médiatrice en chimie, m’expliquait que les équipes du Palais avaient attentivement étudié les photos et les descriptions que les témoins leur ont fournies. Le brumisateur aurait été actionné par un détecteur, comme les chandeliers dans la manip du 2 septembre.Myriam : C’est un truc de fou, ce mécanisme, quand même ! C’est du délire. Mais c'est bon pour ton enquête ça ! Tu as peut-être affaire à UNE génie ! Fin de l’épisode 5.
Les esprits du Palais Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverteÉpisode 6 : M comme Matilda
Prologue : Florence fait le point sur l’enquête Florence : Bon alors, après les chandeliers télécommandés, les graffitis qui brillent dans le noir, voilà maintenant une inscription lumineuse. Et une inscription lumineuse en lettres de sang ! Trois phénomènes lumineux, quatre prénoms féminins… et toujours un mode opératoire très soigné. La personne qui a fait ça maîtrise à la fois la physique et la chimie… Mais elle ne laisse toujours pas d’indices ni de traces probantes…
Scène 1 : Chez Florence et Myriam[La conversation de Myriam et de Florence se mêle et se superpose au discours du présentateur du journal télévisé et de Melissa Gourzi.]Le présentateur : C’était il y a 10 jours. Nous vous parlions de cette inscription fantomatique en lettres de sang qui, le soir d’Halloween, était au centre de toutes les attentions…Florence : ENCORE ??!!??Le présentateur : ... dans le 15e arrondissement de Paris et sur les réseaux sociaux.Myriam [du fond de l’appartement] : Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Le présentateur : ... On n’a toujours pas le fin mot de cette histoire…Florence : Rien, à part que j’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette scène… Le présentateur : ... et on ignore tout de l’identité de la ou des personnes qui sont à l’origine de ces actions. Florence : Apparemment, il s’est encore passé quelque chose aux Étincelles…Le présentateur : Mais voilà qu’aujourd’hui, des affiches sont venues recouvrir les murs…Florence : Mais cette fois, dans plusieurs autres lieux aussi…Le présentateur : … de plusieurs institutions scientifiques parisiennes. Y compris ceux des Étincelles, le site ouvert par le Palais de la découverte…Florence : Une histoire d’affiches, si j’ai bien compris.Le présentateur : ... en attendant la réouverture du Grand Palais, à l’endroit même où avait été photographiée l’inscription d’Halloween. Faut-il voir un lien entre ces deux affaires ? Notre spécialiste, Melissa Gourzi, nous en dit plus.Melissa Gourzi : C'est bien ça Jérémy ! La nuit dernière, les murs de diverses institutions scientifiques – des musées, des académies, des grandes écoles et des universités – ont été recouverts d’affiches. Des affiches, quelque part entre le street art et le collage cubiste, toutes réalisées au moyen du même procédé. Ce sont des portraits de femmes en noir et blanc, reconstitués à partir de photos découpées d’autres femmes, de toutes les époques. Des réalisations minutieuses – on en a dénombré 10 au total –, qui sont toutes barrées d’un grand M à l’encre phosphorescente. Le présentateur radio : Et non pas fluorescente !Melissa Gourzi : Absolument ! Je vois que vous n’avez rien oublié de ce que je vous ai expliqué l’autre jour. Bravo Jérémy !Le présentateur radio : Plus sérieusement, Melissa, y a-t-il un lien, selon vous, entre ce qui s’est passé aujourd’hui et le fameux incident qui s’est produit le soir d’Halloween ?Melissa Gourzi : Il est certain que bon nombre d’éléments incitent à le penser. D’abord, cette constante de la luminescence, de la lumière. Et puis ces prénoms féminins récurrents. Car je dois vous préciser que depuis la nuit dernière, les équipes des institutions concernées n’ont pas tardé à unir leurs efforts et sont rapidement parvenues à identifier certaines des photos utilisées pour les affiches. Elles représentent TOUTES des femmes scientifiques importantes, à défaut d’être célèbres : Alice Ball, Jocelyn Bell…Florence : Elle a découvert un traitement contre la lèpre !Melissa Gourzi : ... Rosalind Kraus, …Florence : C'est celle qui a découvert l'ADN !Melissa Gourzi : ... Émilie du Châtelet, Lise Meitner et… Ada Lovelace ! Myriam [qui s’est rapprochée] : Ah, elle, on la connaît !Le présentateur : Ce qui nous ramène à cette nuit d’Halloween !Melissa Gourzi : Oui, on peut clairement établir un lien entre l’Ada de l’inscription et Ada Lovelace, la première à avoir eu l’idée du programme informatique, au beau milieu du XIXe siècle… Après tout, avec celle de Nabokov, c’est la plus célèbre des Ada… Je vous rappelle aussi que les prénoms féminins, peints sur les murs, l’ont été le jour de l’Ada Lovelace Day. Et que toutes ces femmes ont en commun d’avoir été victime de ce que l’on nomme l’effet Matilda, dont je vous ai souvent parlé ici, leur rôle dans l’histoire des sciences a été minimisé, quand il n’a pas été tout bonnement invisibilisé…Myriam : L’effet Matilda, je m’en rappelle, tu m’en as déjà parlé, ça m’avait marquée… Florence : Je peux me vanter d’ailleurs d’avoir été une des premières journalistes à en parler en France… Qu’est-ce qui t’avait marquée ?Myriam : Bah, ça, justement, cette « invisibilisation » des femmes, comme si on les avait volontairement gommées, mises de côté. C’est carrément injuste !Florence : Il faut que tu saches qu’avant l’« effet Matilda », il y a eu l’« effet Mathieu ». J't'explique : c'est une théorie, forgée par un sociologue américain, dans les années 1960. Ça montre que, dans le cas d’une découverte, l’attention avait fortement tendance à se focaliser sur un personnage au détriment de ses collaborateurs. Et, trente ans plus tard, Margaret Rossiter, une historienne des sciences, a montré que lorsque ces collaborateurs étaient des collaboratrices, l’inégalité de traitement était encore décuplée… C’est ça qu'on appelle l’effet Matilda. Myriam : Mais les choses ont changé, maintenant, non ? Florence : Bien sûr, mais cela reste un combat de tous les jours. D’ailleurs, j’ai le sentiment que c'est un combat du même genre que mène notre mystérieuse silhouette…
Scènes 2 et 3 : Akimou et Florence, Fred et Delphine, conversations entrelacées[Florence et Akimou se retrouvent, à l’extérieur des Étincelles.]Akimou : Brrrr, il ne fait pas chaud, ce matin… Comment allez-vous, Florence ?Florence : Écoutez, ça va, même si je doute de pouvoir boucler mon enquête un jour… Akimou : Myriam n’est pas avec vous ?Florence : Non. Elle aurait adoré voir les affiches, mais elle ne pouvait décemment pas rater les cours… Vous en avez bien recensé quatre, ici, n’est-ce pas ?Akimou : Il y en avait bien quatre à l’origine – deux sur les Étincelles, deux sur les palissades du chantier du Grand Palais – mais nous n’avons pu en récupérer que la moitié, les autres avaient déjà été décollées… Au total, sur l’ensemble des sites, on a pu en sauvegarder sept sur dix.Florence : En tout cas, j’ai vu des photos… Elles sont dignes d’une œuvre de street art, dites-moi ! Et elles sont grandes !Akimou : Oui, et toutes différentes ! J’avoue que moi aussi, j’y suis plutôt sensible… L’auteur a poussé le raffinement jusqu’à utiliser une colle à base d’amidon, 100 % écologique, ce qui a permis de les détacher sans endommager les façades… Mais allons à l’intérieur, je vais vous montrer ![Ils entrent. Les Étincelles sont fermées au public.]Fred [en train de regarder les affiches avec Delphine quand les autres arrivent] : Franchement, elles sont réussies, ces affiches ! Quel travail ça a dû demander d’assembler toutes ces photocopies ! Une multitude de références me viennent en tête quand je regarde ça…Delphine : À commencer par ce grand « M » écrit à la main, j’imagine…Fred : Ah ah, oui, bravo ! Fritz Lang, M le Maudit, 1931, six ans avant l’ouverture du Palais de la découverte…Delphine : Avant notre rencontre…Florence [à Akimou] : C’est vrai que c’est du beau travail, ces affiches.Akimou : Vous ne trouvez pas ça un peu sinistre, voire tragique, toutes ces femmes découpées ?Florence : Non, puisque une fois réunies elles composent une silhouette plus grande qu’elles… Je dirais même lumineuse !Plus je réfléchis, et plus je me dis que c’est ça finalement le point commun, entre tous ces événements qui se sont produits. D’ailleurs, chacun à leur manière pourrait être considéré comme une œuvre d’art…Delphine [à Fred] : Ah tu vois, ils sont de notre avis !Fred : Tu sais, moi, j’ai beaucoup repensé à cette histoire d’effet Matilda. À toutes ces femmes de science qu’on est en train peu à peu de réhabiliter, comme si elles sortaient enfin d’un monde parallèle, une espèce de purgatoire. Et… je me disais…Delphine : Oui ? Fred : Je me disais que c’était là encore un autre point de rencontre entre l’art et la science, finalement. Chaque époque a son propre récit, sa propre manière de présenter les découvertes scientifiques... et celles et ceux qui en sont à l’origine… C’est bien la preuve que la science aura toujours besoin des ressources de l’art. Cette faculté de raconter des histoires, elle est essentielle pour que la science puisse toucher les gens !Delphine : Tu sais que tu parles exactement comme Marie Curie ? En 1936, elle avait présidé un colloque organisé à Madrid sur le thème de « L’Avenir de la culture » et elle avait déclaré notamment : « Je suis de ceux » – oui, oui, elle a bien dit « de ceux » – « qui pensent que la Science a une grande beauté. Un savant dans son laboratoire n’est pas seulement un technicien ; c’est aussi un enfant placé en face de phénomènes naturels qui l'impressionnent, comme un conte de fées. Nous devons avoir un moyen pour communiquer ce sentiment à l’extérieur ; nous ne devons pas laisser croire que tout progrès scientifique se réduit à des mécanismes, des machines, des engrenages, qui, d’ailleurs ont également leur beauté propre. »Fred : C'est magnifique ! Et puis, dans l’histoire de l’art comme dans l’histoire des sciences, il y a eu de nombreuses femmes dont l’importance a été occultée, ou reconnue trop tardivement ! Quand elles n’ont pas été éclipsées par leur mari lorsque celui-ci était un artiste célèbre…Florence [à Akimou] : Peut-être qu’elles seront exposées dans le futur Palais, ces affiches ? Je sais qu’il souhaite accorder une place plus importante aux liens entre l’art et la science. Fred [à Delphine] : C’est ce que j’ai entendu dire. Il y aura des installations d’art contemporain, des commandes à des artistes, peut-être des résidences… Et certains des tableaux monumentaux réalisés pour le Palais en 1937 ont même été restaurés. J’ai HÂTE de voir ça ! Akimou [à Florence] : Il est vrai qu’après tout, c’est une œuvre anonyme de facture tout à fait séduisante…Florence : Anonyme, jusqu’à la preuve du contraire !Akimou : Vous pensez que ça va durer encore longtemps, ces actions intempestives ?Florence : Si je le savais… Et vous ? Akimou : Peut-être, peut-être pas... Et si ces assemblages de photos symbolisaient la dernière pièce du puzzle ?Florence : C’est ce que je me dis aussi… Pour moi, en tout cas, il ne fait guère de doute que ces actions sont l’œuvre d’une seule et même personne. D’une femme, j’en mettrais ma main au feu.Akimou : Une artiste ?Florence : En tout cas, il n’y a pas de mobile apparent. Ces interventions n’ont été accompagnées d’aucune dégradation, d’aucune revendication… Mais elles attirent l’attention… elles interpellent…Akimou : L’art, selon vous, c’est ce qui est gratuit et sans mobile ?Delphine [à Fred] : Les enquêtes, ça me fait toujours penser à la paléontologie.Fred [à Delphine] : La paléontologie ? Explique-toi…Delphine : Eh bien oui, les paléontologues ne travaillent que sur des indices : ils les accumulent, regardent à quel point ils sont cohérents, comment ils s’organisent, et puis ils établissent une hypothèse, une théorie valable tant que le contraire n’est pas prouvé. Je t’avais raconté l’histoire de la faune de Burgess ?Fred : Ça ne me dit rien, non…Delphine : Alors, la faune de Burgess, ce sont des fossiles extraordinairement bien conservés, découverts par hasard en 1909 par le géologue américain Charles Walcott dans les montagnes rocheuses de Colombie-Britannique…Fred : Au Canada !Delphine : Ces fossiles présentaient les restes d'une faune originale, exclusivement marine, jusqu’alors inconnue. Plusieurs de ces animaux présentaient des formes étranges ou des particularités anatomiques bizarres, et très peu de ressemblances mineures avec les autres formes de vies connues. L’erreur de Walcott a été de vouloir classer à tout prix ces animaux inconnus dans des catégories existantes. Dans les années 1960, des scientifiques ont repris complètement l’inventaire de ces fossiles et sont parvenus à une autre interprétation, qui a conduit à créer de nouvelles catégories et donc de nouvelles espèces … Entre-temps, les progrès accomplis au fil des connaissances ont permis de réviser cette conclusion. Cela montre bien que ce qui est présenté comme une vérité à un moment donné... peut être revu, corrigé au fil des découvertes et des avancées.Fin de l’épisode 6.
Les esprits du Palais Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverteÉpisode 7 : La Lettre d'Ada ELLE
Prologue : Florence fait le point sur l’enquêteFlorence [se parlant à elle-même] : Des affiches, à présent. Et des grandes ! Et pas seulement aux Étincelles ! Des collages, aux qualités plastiques incontestables… C’est du street art ! Et qui, encore une fois, nous ramène vers les femmes scientifiques. Aurait-on affaire à une disciple de Matilda Joslyn Gage, celle qui a donné son nom à l’effet Matilda ? Car je suis sûre qu’il s’agit d’une femme. Mais si c’était une simple militante, elle aurait pu trouver des moyens plus simples et plus directs de faire passer son discours ! Là c’est très élaboré. Il y a une certaine beauté du geste… et une rigueur scientifique dans l’exécution… Dans son genre, cette femme est une virtuose.
Scène 1 : Lecture de la lettre d’Ada ElleAda Elle : « Mesdames, Messieurs des Étincelles du Palais de la découverte, Cette lettre vous parvient quelques jours après que quatre de mes photomontages ont été collés sur les murs de votre établissement. Des lettres ont également été adressées à vos collègues des autres institutions que j’ai – pour reprendre le mot d’une certaine presse – « vandalisées », de même qu'à certaines journalistes qui sauront, je le sais, retranscrire comme il se doit mes actions. Les affiches en question représentent la dernière pièce d’un puzzle qu’en tant que plasticienne, et que physicienne à la vocation contrariée, je me suis plu à déployer autour des Étincelles ces quatre derniers mois, un puzzle dont le dessein (« avec un "e" ») était assez facile à percer à jour – si j’en juge par les réactions aux deux précédents épisodes qui ont été divulgués par les médias, et pour lesquels ils se sont montrés d’une clairvoyance qui les honore. Les prénoms constituaient il est vrai de précieux indices. Je regrette seulement après coup de n’y avoir pas inclus un prénom de femme artiste – car il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Il s’agissait bien de mettre en lumière les figures de toutes ces femmes de science dont les collègues masculins ont trop souvent étouffé la voix ; et, à titre plus personnel, de faire la lumière sur les facteurs qui ont largement pesé sur mon parcours. C’est finalement dans l’art que j’ai trouvé le lieu d’épanouissement personnel auquel j’aspirais, et je n’ai rien à regretter. Actions artistiques in situ, performances, art urbain, street art : nommez-les comme vous le souhaitez. Les quatre pièces de ce puzzle – car oui, les « feux follets » relèvent bien aussi de mon initiative – m’ont permis de boucler un cycle. Leur réalisation m’a demandé plus d’une année de recherches et de travail. J’ai énormément appris sur certains domaines de la science – la chimie et même la biologie, bien que je n’aie finalement pas exploité la bioluminescence – ainsi que sur des techniques que je maîtrisais mal. Je joins d’ailleurs à ce courrier la reproduction des plans des différents dispositifs que j’ai conçus, même si je ne doute pas que vos équipes en aient déjà percé à jour tous les procédés. Ce geste est, en un sens, désintéressé, dérisoire, microscopique, et pourtant je veux croire qu’il est aussi puissant, nécessaire et, j’ose le dire, généreux. Je n’en tire aucun profit ni aucune gloire personnelle. Je n’ai nullement l’intention de révéler ma véritable identité. C'est sous le pseudonyme d’Ada Elle que je signerai cette lettre. J’avoue être hantée par la figure d’Ada Lovelace. Mais à travers la publicité qui ne manquera pas d’être faite autour de cette affaire, j’espère avoir contribué à lutter pour que les femmes bénéficient d’une égalité de traitement dans tous les compartiments de la société. Si j’ai choisi de faire des Étincelles le cadre de cette expérimentation, de cette « œuvre » – n’ayons pas peur des mots –, c’est parce que le Palais de la découverte est depuis toujours cher à mon cœur de petite Parisienne, et a grandement contribué à la naissance de ma première vocation. Je voue une grande tendresse à ce lieu, né du mariage entre la science et l’art, et je sais que vous avez beaucoup œuvré pour remettre les femmes scientifiques à l’honneur. Même si je dois dire que je trouve le personnage de Delphine, dans votre série de podcasts Les Esprit du Palais, fort peu combattive sur ces questions. » Delphine [incise] : Non mais pour qui elle se prend, celle-là !?[Fred éclate de rire.]Ada Elle : « J’ai d’ailleurs été très amusée d’y réentendre cette archive de Jean Perrin dans laquelle celui-ci fait l’apologie des carrières scientifiques en s’adressant aux “jeunes garçons”… Tout un symbole ! »Fred : Oui, c’est vrai ça ! Pourtant, ça ne nous avait pas choqués à l’époque…Ada Elle [dont la voix finit par être recouverte par celle de Florence achevant la lecture de la lettre] : « C’est pourquoi je me dois enfin de préciser que je ne suis nullement responsable, en revanche, des disparitions supposées d’objets qui se seraient produites ces derniers temps dans vos réserves, ainsi que je l’ai entendu dire… »Florence [qui poursuit la lecture. Sa voix se superpose à celle d'Ada Elle qui finit par disparaître à l'arrière-plan] : « Je le souligne : ces disparitions ne font pas partie du puzzle. Aussi j’espère de tout cœur que vous rentrerez en possession des objets perdus, et que vous continuerez à susciter des vocations et à encourager les jeunes filles à entreprendre des carrières scientifiques, où elles pourront s’épanouir pleinement. Artistiquement, et scientifiquement vôtre. Ada Elle »Florence : Voici donc la lettre reçue hier aux Étincelles. La mienne était à peu près du même acabit – un peu plus militante peut-être… Elle me demande aussi de ne jamais chercher à retrouver son identité, disant que nos routes finiront par se recroiser…Akimou : Elle me plaît bien, cette Ada Elle : déterminée, courageuse, rigoureuse, engagée… et, surtout, critique ! Florence : En attendant, il m’aura causé pas mal de migraines, son puzzle… Et on ne saura jamais comment elle a fait pour peindre ses graffitis dans les salles sans se faire repérer !Delphine [à Fred, sur un ton de triomphe enfantin] : Moi je sais, moi je sais… Akimou : Il reste quelques zones d’ombres, mais nous avons eu le fin mot de l’histoire. Il est certains mystères qu’il est parfois bon de ne pas chercher à percer, vous ne croyez pas ? Il y a un proverbe swahili qui dit : « Akili nyingi huondoa maarifa » – « Trop d’intelligence chasse la sagesse. »Florence : « Akili nyingi huondoa maarifa »…[En chœur.]Delphine : « Akili nyingi huondoa maarifa »… Fred : « Akili nyingi huondoa maarifa »…Akimou : En tout cas, je crois que vous allez pouvoir boucler votre enquête, n’est-ce pas ? Je suis bien curieux d’écouter ça ! Est-ce que vous allez parler d’Ada Elle ?Florence : J’avoue que pour le moment je ne vois vraiment pas comment… [Elle ne termine pas sa phrase.] C’est un sujet en soi ! Akimou : J’espère en tout cas que cela ne vous empêchera pas de continuer à venir aux Étincelles. Revenez donc avec Myriam ! Vous devriez l’emmener à la Fête de l’esprit critique ! Je suis sûr que cela l’intéresserait. C’est au printemps, on a un peu de temps… Chaque année ce jour-là, je pose ma journée et… [sur un ton de gourmandise] je jubile !Florence : Mais, j’y songe, si ce n’est pas elle, Ada Elle, il faudra bien se mettre sur la piste des objets que l’on ne retrouve pas dans les réserves ? Fred [à Delphine, l’air paniqué] : C’est vrai, ça, les objets ! Quand retrouvera-t-on notre appareil d’électrostatique ?Akimou : Vous les avez déjà visitées, ces réserves ?Florence : Non, jamais.Akimou : Eh ! Et vous comptez sortir votre reportage sur le Palais et les Étincelles sans en connaître les coulisses ?Florence : C’est vrai que j’ai tout de même envie d’aller jeter un œil aux réserves de Bondoufle et de La Charité-sur-Loire. Ça me ferait voir du pays ! Pour faire patienter ma rédaction en chef, je vais lui proposer un sujet sur cette affaire du puzzle d’Ada. Ça m’inspire… Allez, Florence ! Au boulot ![Extrait sonore de l’exposé « Cerveau et idées reçues » enregistré lors de la Fête de l’esprit critique, en 2023, aux Étincelles.] La perception, elle va être concentrée sur là où est l'attention. On ne va être capable de percevoir que là où l'attention est dirigée. Et ça, c'est super flippant, en fait, quand on y réfléchit. C'est assez, assez intéressant parce que ça montre qu'on n'est pas du tout des bons détectives. On n'est pas capable de percevoir le monde tel qu'il est, tel qu'il nous entoure et tel qu'il devrait être. Non, on perçoit le monde avec notre filtre d'attention et de concentration. Si je suis en voiture et que je ne fais pas l'effort de regarder dans mon angle mort pour chercher le cycliste à vélo, je ne vais pas le percevoir. Si je ne fais pas l'effort, quand j'arrive à un croisement, de chercher les voitures, je ne vais pas les percevoir. Donc ça a des implications en fait, dans la vie de tous les jours, et, de croire qu'on est super perspicaces, des bons détectives, que ça fonctionne super bien à tous les coups, là, c'est une fausse croyance qui peut avoir, là aussi sociétalement, des conséquences, avec parfois des conséquences dramatiques. Autre idée reçue : nous sommes multitâches.
Scène 2 : En avril, au sortir de la Fête de l’esprit critique. Myriam, Florence et Akimou font le long de la Seine une balade qui les mènera jusqu’aux palissades du chantier du Palais de la découverte…Myriam : Vous aviez raison, Akimou : c’était passionnant, cette journée !J’ai adoré l’exposé « Peut-on faire confiance à son ordinateur ? » Et cette expression que les informaticiens utilisent pour désigner les êtres humains : « ICC », « interface chaise clavier » !Florence : Oui, beaucoup de choses à méditer… Myriam : On y retourne en fin de journée ?Florence : Attends, ça va nous faire du bien de marcher un peu. J’ai besoin de laisser toute cette science infuser dans mon cerveau, et surtout de me dégourdir un peu les jambes ! Tu vas voir, Myriam, remonter la Seine avec Akimou, du quai André Citroën jusqu’au pont Alexandre III, c’est un voyage dans le temps qui vaut toutes les destinations exotiques ! Et au printemps, en plus…Delphine : Ah, les veinards. J’aimerais tant les suivre… Fred : Et moi donc… Mais nous ne sommes pas les Esprits de Paris ! Viens, rentrons dans notre Palais.Delphine : D’accord, rentrons… Je comprends que tu ne veuilles pas perdre une miette de cette restauration et que tous ces compagnons d’art te fascinent… Mais n’oublie pas que durant le temps des travaux, les équipes du Palais travaillent également d’arrache-pied à la rénovation, pour réinventer ce qui sera présenté dans le nouveau Palais... Émerveiller, éveiller… les sciences se montreront à la hauteur de ce lieu d’exception ![Ellipse sonore.]Myriam : « L’art dans l’espace public est souvent un sujet de discorde… » Tiens, tu vois, maman, déjà à l’époque de Jacques Lipchitz et de son Prométhée étranglant le vautour, les artistes faisaient du grabuge autour du Palais de la découverte…Florence : Tu ne la trouves pas remarquable, cette fresque ?Myriam : Si, elle se lit comme une B.D.… Super bien fait et super utile, l’arbre généalogique de Prométhée… Depuis le temps que tu m’en parlais.Florence : Résultat, ça va faire une demi-heure qu’on tourne autour des palissades du chantier : pour une fille qui avait mal aux pieds après une heure de marche…Myriam : C’est vrai qu’on pourrait s’asseoir un peu sur ce banc, là, en face.Akimou : À côté des préfabriqués du commissariat. [Ils traversent la rue pour ça s’asseoir.]Florence : Regarde bien quand tu traverses, Myriam !Myriam [excédée] : Maman ! [Elle s’assoit.] Ah ça fait trop du bien ! J’avais trop mal aux jambes !Florence : J’ai tellement hâte de redécouvrir enfin cette façade sans échafaudages ! Pour l’instant on dirait une œuvre de Christo et Jeanne-Claude !Akimou : Florence, je dois vous avouer quelque chose. Votre reportage sur l’épisode Ada Elle, « L’artiste invisible », je l’ai trouvé passionnant ! Je peux vous le dire.Florence : Oh, merci, Akimou ! Ça fait du bien, de temps en temps, de se permettre un format un peu plus personnel.Akimou : Vous n’avez jamais cherché à la rencontrer ?Myriam : Non, maman fait toujours confiance au hasard des rencontres.Florence : Ce n’était pas utile… Bien qu’au fond de moi, j’ai dû calmer ma curiosité... et, comme le dit Myriam, compter sur le hasard.Akimou : Vous savez, Florence, il n’y a pas de hasard dans les rencontres. Les rencontres les plus importantes ont été préparées par les âmes, bien avant que les corps ne se voient.Florence : Votre sens de la formule va me manquer Akimou, vous savez. Mais c'est vrai que je me sens naturellement assez proche d'Ada Elle, j’ai l’impression qu’on s’entendrait bien… même si je suis toujours facilement impressionnée par les personnalités aussi persévérantes.[Ellipse sonore. Dans le métro.]Myriam : T'avais raison, maman. Il est étonnant, cet Akimou…Florence : Qu'est-ce qu'il y a comme monde à cette heure-ci sur la ligne une !Myriam : Oh maman, t'as vu ça ? Là, l’affiche, en face ? Ce personnage avec la gigantesque tignasse rose en pétard… C’est pas l’expérience d’électrostatique ?Florence : Si, c'est ça ! Ce sont deux artistes photographes, Elsa & Johanna, à qui le Palais de la découverte a demandé de s’emparer de son histoire… J’aime beaucoup cette série d’affiches : elles se sont mises en scène dans les salles et les coulisses du Palais, elles ont inventé des histoires dans un environnement réel…Myriam : D’ailleurs, on ne sait toujours pas ce qu’il est devenu, ce fameux appareil d’électrostatique ?Florence : Non, pas encore, il va falloir que je me penche sérieusement sur cette histoire d'objets disparus.Myriam : Ton enquête n’est donc pas terminée, maman !Fin de la saison 2.
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En compagnie des deux Esprits de l'art et de la science, immergez-vous dans l’atmosphère sonore du Palais de la découverte avant sa fermeture pour travaux.
Un podcast original pour découvrir la culture scientifique à travers la lecture de textes inspirants comme inspirés.
Collection d'exposés emblématiques du Palais de la découverte.