Les Étincelles du Palais de la découverte
La médiation scientifique
Découvrez le futur Palais
Jacques Petitpré, notre médiateur en physique, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’œuvre de George Gamow « M.Tompkins explore l’atome ». Homme curieux et ouvert mais pas scientifique, M.Tompkins nous plonge avec lui au cœur de ses rêves pour y découvrir un monde fantasmagorique, celui de la science. Il ne va pas seulement comprendre des notions scientifiques, mais les vivre, et partir à la rencontre d’un des plus grands physiciens de l’époque, Wolfgang Pauli, d’une façon pour le moins inattendue !
Alexandre Héraud (Voix off) Jacques Petitpré (Médiateur) Léa Minod (Journaliste) Moise Courilleau (Lecture en direct)
Voix off : Le Palais de la Découverte présente « Sciences Lues », un podcast pour s'immerger dans la culture scientifique de Démocrite à nos jours.
Épisode 3 : « Monsieur Tompkins explore l'atome », un texte de George Gamow.
Léa Minod : À quelques mètres du parc André-Citroën, dans le 15ᵉ arrondissement, d'étranges toitures colorées prennent la forme de flèches et pointent leur nez vers le ciel. C'est là, aux étincelles, que travaille Jacques Petitpré en tant que médiateur pendant la rénovation du Palais de la découverte. Médiateur en physique, Jacques Petitpré a toujours connu le Palais de la découverte où il se passionnait dès 5 ans pour la médiation.
Il a repris le flambeau depuis 24 ans, toujours avec la même passion.
Installé dans le noir et équipé de casques bluetooth, le public tend l'oreille aux mots de George Gamow, influent physicien et vulgarisateur de génie au XXᵉ siècle. Sur scène, le comédien Moise Courilleau s'empare du texte, tandis que notre réalisateur plonge le public dans un environnement sonore conçu sur mesure.
Léa Minod : Pour cet épisode de « Science Lues », vous avez choisi un extrait du roman de « Monsieur Tompkins explore l'atome », qui a été publié en 1944, de George Gamow. Est-ce que vous pouvez nous rappeler qui il est ?
Jacques Petitpré : George Gamow ou Monsieur Tompkins ? ! (sourire)
Léa Minod : George Gamow, d'abord.
Jacques Petitpré : C'est un grand nom de la physique au XXᵉ siècle. Il a fait des travaux influents en physique quantique tout d'abord, c'est un des découvreurs de l'effet tunnel. Ensuite, en cosmologie, il a contribué au modèle du Big Bang. Et puis, puisqu'il était un homme de beaucoup d'intérêts, il a même fait de la biologie et de la génétique sur la fin de sa carrière. Il a aussi eu de grandes contributions en biologie.
Léa Minod : C'est aussi un des maîtres de la vulgarisation scientifique, non ?
Jacques Petitpré : Effectivement, par sa série de livres sur les aventures de « Monsieur Tompkins », il a créé, si je peux dire, un style de vulgarisation qui reste d'actualité, même 60 ans après son écriture.
Léa Minod : Quel a été son parcours ? Où est-ce qu'il est né ? Où est-ce qu'il est allé ?
Jacques Petitpré : Il est né à Odessa. Il a commencé sa carrière dans ce qu'était l'ancienne Union soviétique et ensuite il a été invité en 1930 au congrès de Solvay. Il a demandé à pouvoir y aller. Et là, à son grand étonnement, on lui a donné l'autorisation d'y aller. Ce qui était rare à l'époque pour les physiciens soviétiques. Il en a profité pour s'enfuir avec sa femme, qu'il a fait passer pour sa secrétaire.
Léa Minod : C'était juste avant la Seconde Guerre mondiale, c'est ça ?
Jacques Petitpré : Tout à fait. Et ensuite, il a terminé sa carrière, entre les Etats-Unis et l’Angleterre également. Il était un peu sur les deux continents.
Léa Minod : Est-ce que vous vous souvenez de la première fois que vous avez découvert ce texte « Mister Tompkins ou Monsieur Tompkins explore l'atome » ?
Jacques Petitpré : Oui, puisque c'est mon grand-père qui m'a offert ce livre. J'avais une dizaine d'années à peu près et je l’ai là ! C’est l’original (il le montre au public).
Léa Minod : Donc c'est l'édition qu'on ne trouve plus maintenant ?
Jacques Petitpré : Tout à fait. j'ai lu ça et je pense que c'est une des choses qui a fait que j'ai plongé dans la physique. C'était une révélation, on peut le dire !
Léa Minod : Pourquoi ?
Jacques Petitpré : Cette série de livres en fait, ça montre vraiment le côté merveilleux de la science et de la physique en particulier. Ça montre à quel point c'est un monde de rêve. Ce n'est pas de la vulgarisation où seulement on explique les choses, là on va suivre ce Monsieur Tompkins qui va à travers ses rêves plonger dans le monde de la physique. Il va lui-même expérimenter les grandes notions de la physique. Il va devenir un électron, il va se promener à la vitesse de la lumière. Et ça permet de personnifier vraiment la vulgarisation, et de la rendre extrêmement « impliquante », si je peux dire.
Léa Minod : Quel était l'objectif de votre grand père en vous offrant ce livre ?
Jacques Petitpré : Bonne question. (rire) Lui-même était depuis très longtemps, plus de 30 ans, au Palais de la Découverte. Il était à la « Société des Amis du Palais de la Découverte ». Peut-être faire partager tout simplement son émerveillement et son amour pour la physique.
Léa Minod : Parce que c'était l'objectif de créer une vocation pour vous ?
Jacques Petipré : Il avait vu qu'il y avait une possibilité de partager avec moi cette passion qu'il avait. Donc c'est un moyen, je pense, une sorte d'invitation que j'ai reçue et dont je ne suis toujours pas remis.
Léa Minod : Si on revient sur le texte il y a Monsieur Tompkins qui est le personnage principal. Est-ce que vous pouvez me dire qui il est ?
Jacques Petitpré : Alors le principe de cette série de livres –et c'est en cela qu'il est si particulier, si exceptionnel et qu'il a été repris par la suite– c'est que ça n'explique pas la physique d'un point de vue impersonnel, mais on va suivre les aventures de ce monsieur et se poser les mêmes questions que lui. Il se trouve que lui n'y connaît rien en physique. Donc on va se poser les mêmes questions, on va trouver les réponses en même temps que lui, et lui pour trouver ses réponses va plonger à travers ses rêves au cœur de la physique. Il va devenir une particule, il va devenir un atome, donc on va pouvoir vraiment « expérimenter » les choses, si je peux dire.
Et pour répondre à votre question, c'est un employé de banque, tout simplement, qui n'a au départ aucun intérêt pour la physique. Simplement, il s'ennuie un peu parce qu'il ne trouve pas beaucoup d'intérêt dans les distractions qui se trouve autour de lui. Donc il se rend au départ à une conférence d'un physicien à l'université. Et vu qu'il ne comprend rien pendant la conférence, il s'endort et au travers de ses rêves, il va comprendre ce dont la personne parlait dans la conférence. Ça, c'est le sujet du premier livre « Monsieur Tompkins, au pays des merveilles », qui parle de physique quantique et de relativité. Et ensuite, il va tomber amoureux de la fille du physicien en question, se marier avec elle.
Léa Minod : Maud ?
Jacques Petitpré : Maud, tout à fait. Ce qui fait qu'il y a un personnage féminin dans un livre de physique dans les années 50, c’est déjà une performance notable. Et dans ce deuxième livre, « Monsieur Tompkins explore l’atome », il est chez lui pour le coup, il parle avec sa femme, il observe un peu son quotidien. Il va ensuite s'endormir et repartir dans ses rêves, au cœur de l'atome.
Dans l'extrait que l'on va lire là, il s'est rendu à nouveau à une conférence de son beau-père qui parle de la formation de l'atome, de la matière, du noyau, des électrons autour. Et il va s'endormir, va plonger au cœur de l'atome. Il va devenir lui-même un électron et comprendre…. Je peux faire un petit rappel sur le texte ? Ce dont on va parler dans ce texte-là, c'est que dans un atome, vous avez un noyau massif autour duquel il y a des électrons qui vont se mettre par couches successives. Donc on va comprendre dans ce texte comment est-ce que les couches vont se remplir. Et assez logiquement, ce sont les électrons qui vont être dans la couche la plus extérieure, qu’on appelle les électrons de valence qui vont conditionner la façon dont les atomes vont pouvoir se lier entre eux pour former des molécules. Si un atome a, dans sa couche extérieure, un électron "en trop" par rapport à un remplissage optimal et s'il y a un atome qui, dans sa couche extérieure, a un électron "en moins", on peut imaginer que quand ils vont se rencontrer, ça va "matcher", l'électron "en trop" va aller combler le trou là où il y a un électron "en moins". Les deux atomes vont se lier pour former une molécule. C'est ce qui se passe là puisque Monsieur Tompkins devient l'électron d'un atome de sodium qui est un électron "en trop" et il va s'approcher d'un atome de chlore qui est un électron "en moins" et donc le chlore et le sodium vont se marier et former ce qu'on appelle du chlorure de sodium. Mais ce qu'on appelle entre nous du sel de table, tout simplement !
Léa Minod : Alors on ferme les yeux et on se plonge dans l'atome.
Moïse Courilleau :
« Quand il s’enfonça dans son sommeil, l’inconfort de son siège austère disparut, pour faire place à l’agréable sensation de flotter dans les airs ; il ouvrit les yeux et eut la surprise de se trouver filant à travers l’espace à une assez bonne vitesse, Regardant autour de lui, il se rendit compte qu'il n’était pas seul dans ce voyage fantastique. Beaucoup de formes vagues et nébuleuses évoluaient, comme lui, autour d’un objet de grande taille et qui paraissait lourd. Ces êtres étranges voyageaient par paires en se poursuivant gaiement sur des pistes circulaires où elliptiques. M. Tompkins se sentit soudain tout malheureux, car, seul de tout le groupe, il n’avait pas de compagnon. « Pourquoi n’ai-je pas emmené Maud ? » se demandait-il tristement. « Nous nous serions bien amusés dans cette foule joyeuse ». La piste sur laquelle il se mouvait était extérieure aux autres, ct il avait très envie de se joindre à la bande, mais la pénible impression d'être un individu excentrique l’en empêchait. Malgré tout, quand un des électrons passa près de lui (car M. Tompkins avait compris qu’il se trouvait mêlé à la communauté électronique d’un atome), il ne put se retenir de lui faire part de ses ennuis. « Pourquoi n’ai-je personne pour jouer avec moi? » lui cria-t-il. « Parce que cet atome est impair, et que vous êtes l’électron de valence », lui lança l’électron en virant et en se replongeant dans la foule dansante. « Les électrons de valence vivent seuls où trouvent des compagnons dans d’autres atomes », cria le soprano strident d’un autre électron, qui passait devant lui à toute vitesse. « S'il te faut un bon copain,«Saute dans le chlore et tends la main» chantait un autre d’un air moqueur. « Je vois que vous êtes nouveau ici, mon fils, et que vous vous sentez très seul » dit affectueusement une voix au-dessus de lui. En levant les yeux, M. Tompkins aperçut la large silhouette d'un moine vêtu d’une robe brune. « Je suis le Père Paulini », continua le moine en parcourant la piste avec M. Tompkins, «et ma mission sur terre est de veiller sur la vie physique et morale des électrons, dans les atomes et partout ailleurs. C’est mon devoir de distribuer comme il faut ces folâtres particules sur les différentes couches quantiques des belles structures atomiques construites par notre grand architecte Niels Bohr. Afin de maintenir l’ordre et de sauvegarder les convenances, je ne permets jamais à plus de deux électrons d'emprunter la même piste; vous savez bien que les ménages à trois créent toujours des difficultés. Les électrons sont donc en tous temps groupés par paires de « spin » opposé, et aucun intrus n'est admis sur une piste déjà occupée par un couple. C'est une bonne loi, et je dois ajouter qu'aucun électron n'a encore enfreint mes ordres. » « C’est peut-être une bonne loi », objecta M. Tompkins, « mais elle ne me convient guère en ce moment. » « Je comprends », dit le moine en souriant. « Vous n'avez vraiment pas de chance d’être électron de valence dans un atome impair. À cause de la charge électrique de son noyau l’atome de sodium dont vous faites partie a droit à onze électrons en tout (le noyau est cette grosse masse noire que vous voyez au centre). Malheureusement pour vous, onze est un nombre impair, ce qui n’est pas inhabituel, puisqu'un nombre sur deux est impair, et un sur deux pair. Comme vous êtes le dernier arrivant, vous allez rester seul quelque temps. » « Vous voulez dire que j'ai quelque chance de m'en tirer plus tard? » s'empressa de demander M. Tompkins. « Par exemple en chassant l’un des anciens ? » « Pas exactement », dit le moine en le menaçant de son index charnu. « Pourtant, il peut toujours se faire qu'un des membres d’un cercle intérieur soit projeté au dehors par une perturbation étrangère ; et cela libérerait une place. Mais si j’étais vous, je n’y compterais pas trop. » « Ils m'ont dit que je devrais aller dans du chlore », dit M. Tompkins, déçu des paroles du Père Paulini. « Pouvez-vous m’expliquer comment il faut faire ? » « Jeune homme, jeune homme!» soupira le moine tristement, « pourquoi recherchez-vous à ce point la compagnie ? Ne pouvez-vous jouir de votre solitude et de l’occasion que le Ciel vous envoie de contempler votre âme en toute sérénité ? Pourquoi les électrons impairs doivent-ils toujours aspirer à la vie temporelle ?.… Pourtant, si vous insistez pour ne pas rester seul, je vous aiderai à réaliser votre souhait. Regardez dans la direction que je vous indique, vous verrez un atome de chlore qui s'approche de nous, et même à cette distance vous pourrez apercevoir une place inoccupée où vous seriez très certainement le bienvenu. La place vide se trouve dans le groupe des électrons extérieurs, ou « couche M », qui doit être composée de huit électrons accouplés en quatre paires. Quatre électrons parcourent la piste dans un sens, et trois seulement dans l’autre, ce qui laisse une place vacante, Les couches internes, connues sous le nom de « couches K » et «I» sont complètement remplies et l'atome sera très heureux de vous recevoir pour compléter sa couche extérieure. Quand les deux atomes seront l'un près de l'autre, vous n'aurez qu'à sauter, comme le font tous les électrons de valence. Que la paix soit avec vous, mon fils! » Sur ces mots, l’impressionnante silhouette du prêtre électronique s‘évanouit soudain dans l'air. »
« Quand il s’enfonça dans son sommeil, l’inconfort de son siège austère disparut, pour faire place à l’agréable sensation de flotter dans les airs ; il ouvrit les yeux et eut la surprise de se trouver filant à travers l’espace à une assez bonne vitesse,
Regardant autour de lui, il se rendit compte qu'il n’était pas seul dans ce voyage fantastique. Beaucoup de formes vagues et nébuleuses évoluaient, comme lui, autour d’un objet de grande taille et qui paraissait lourd. Ces êtres étranges voyageaient par paires en se poursuivant gaiement sur des pistes circulaires où elliptiques. M. Tompkins se sentit soudain tout malheureux, car, seul de tout le groupe, il n’avait pas de compagnon.
« Pourquoi n’ai-je pas emmené Maud ? » se demandait-il tristement. « Nous nous serions bien amusés dans cette foule joyeuse ».
La piste sur laquelle il se mouvait était extérieure aux autres, ct il avait très envie de se joindre à la bande, mais la pénible impression d'être un individu excentrique l’en empêchait. Malgré tout, quand un des électrons passa près de lui (car M. Tompkins avait compris qu’il se trouvait mêlé à la communauté électronique d’un atome), il ne put se retenir de lui faire part de ses ennuis.
« Pourquoi n’ai-je personne pour jouer avec moi? » lui cria-t-il.
« Parce que cet atome est impair, et que vous êtes l’électron de valence », lui lança l’électron en virant et en se replongeant dans la foule dansante.
« Les électrons de valence vivent seuls où trouvent des compagnons dans d’autres atomes », cria le soprano strident d’un autre électron, qui passait devant lui à toute vitesse.
« S'il te faut un bon copain,«Saute dans le chlore et tends la main» chantait un autre d’un air moqueur.
« Je vois que vous êtes nouveau ici, mon fils, et que vous vous sentez très seul » dit affectueusement une voix au-dessus de lui.
En levant les yeux, M. Tompkins aperçut la large silhouette d'un moine vêtu d’une robe brune.
« Je suis le Père Paulini », continua le moine en parcourant la piste avec M. Tompkins, «et ma mission sur terre est de veiller sur la vie physique et morale des électrons, dans les atomes et partout ailleurs. C’est mon devoir de distribuer comme il faut ces folâtres particules sur les différentes couches quantiques des belles structures atomiques construites par notre grand architecte Niels Bohr. Afin de maintenir l’ordre et de sauvegarder les convenances, je ne permets jamais à plus de deux électrons d'emprunter la même piste; vous savez bien que les ménages à trois créent toujours des difficultés. Les électrons sont donc en tous temps groupés par paires de « spin » opposé, et aucun intrus n'est admis sur une piste déjà occupée par un couple. C'est une bonne loi, et je dois ajouter qu'aucun électron n'a encore enfreint mes ordres. »
« C’est peut-être une bonne loi », objecta M. Tompkins, « mais elle ne me convient guère en ce moment. »
« Je comprends », dit le moine en souriant. « Vous n'avez vraiment pas de chance d’être électron de valence dans un atome impair. À cause de la charge électrique de son noyau l’atome de sodium dont vous faites partie a droit à onze électrons en tout (le noyau est cette grosse masse noire que vous voyez au centre). Malheureusement pour vous, onze est un nombre impair, ce qui n’est pas inhabituel, puisqu'un nombre sur deux est impair, et un sur deux pair. Comme vous êtes le dernier arrivant, vous allez rester seul quelque temps. »
« Vous voulez dire que j'ai quelque chance de m'en tirer plus tard? » s'empressa de demander M. Tompkins. « Par exemple en chassant l’un des anciens ? »
« Pas exactement », dit le moine en le menaçant de son index charnu. « Pourtant, il peut toujours se faire qu'un des membres d’un cercle intérieur soit projeté au dehors par une perturbation étrangère ; et cela libérerait une place. Mais si j’étais vous, je n’y compterais pas trop. »
« Ils m'ont dit que je devrais aller dans du chlore », dit M. Tompkins, déçu des paroles du Père Paulini. « Pouvez-vous m’expliquer comment il faut faire ? »
« Jeune homme, jeune homme!» soupira le moine tristement, « pourquoi recherchez-vous à ce point la compagnie ? Ne pouvez-vous jouir de votre solitude et de l’occasion que le Ciel vous envoie de contempler votre âme en toute sérénité ? Pourquoi les électrons impairs doivent-ils toujours aspirer à la vie temporelle ?.… Pourtant, si vous insistez pour ne pas rester seul, je vous aiderai à réaliser votre souhait. Regardez dans la direction que je vous indique, vous verrez un atome de chlore qui s'approche de nous, et même à cette distance vous pourrez apercevoir une place inoccupée où vous seriez très certainement le bienvenu. La place vide se trouve dans le groupe des électrons extérieurs, ou « couche M », qui doit être composée de huit électrons accouplés en quatre paires. Quatre électrons parcourent la piste dans un sens, et trois seulement dans l’autre, ce qui laisse une place vacante, Les couches internes, connues sous le nom de « couches K » et «I» sont complètement remplies et l'atome sera très heureux de vous recevoir pour compléter sa couche extérieure. Quand les deux atomes seront l'un près de l'autre, vous n'aurez qu'à sauter, comme le font tous les électrons de valence. Que la paix soit avec vous, mon fils! » Sur ces mots, l’impressionnante silhouette du prêtre électronique s‘évanouit soudain dans l'air. »
Léa Minod : Donc si on revient sur l'aspect vraiment scientifique de ce texte, qu'est-ce qu'il raconte ?
Jacques Petitpré : Il raconte simplement que les électrons vont se ranger par couches autour du noyau et que, pour chaque couche il y a un nombre déterminé, un nombre optimal d'électrons. Si pour un atome dans la couche extérieure, il y a un électron en trop par rapport à ce remplissage optimal -c'est le cas du sodium où est M Tompkins- et si à côté, il y a un atome où, dans la couche extérieure, il y a un électron en moins par rapport au nombre optimal… Et bien, évidemment, l'électron en trop d'un atome va essayer d'aller combler le vide qu'il y a dans la couche extérieure de l'atome où il y a un électron en moins. Donc les atomes vont se lier, c’est ce qu’on appelle une liaison ionique. Voilà. En gros.
Léa Minod : Le père Paolini lui adresse la parole, de qui il s'agit en fait ?
Jacques Petipré : Il s'agit de Wolfgang Pauli, qui est un grand physicien autrichien du milieu du XXᵉ siècle qui a notamment donné son nom au « principe d'exclusion de Pauli », une des règles les plus fondamentales de la physique des électrons. Et c'est quelque chose que Gamow utilise beaucoup. Tompkins va rencontrer Pauli, il va rencontrer Heisenberg, il va rencontrer des grands physiciens qui vont apparaître sous la forme de personnages imaginaires, ou, comme c’est le cas ici, va rencontrer même des concepts. A un moment il va rencontrer ce qu’il appelle le démon de Maxwell qui est un concept physique. Il va le rencontrer en vrai. Et voilà, dans ses aventures il rencontre des grandes figures de la physique, réelles ou imaginaires.
Léa Minod : Et il est fait mention d'une autre personne qui est Niels Bohr présenté comme notre grand architecte par le père Paolini. Donc ça serait comme un peu comme une sorte de divinité suprême pour les scientifiques ?
Jacques Petitpré : Plus modestement, cette façon de se représenter un atome est une manière parmi d'autres de se représenter un atome, ce qu'on appelle « l'atome de Bohr ». Mais cela interroge aussi la notion de modèle parce que c'est comme ça qu'on se représentait un atome au début du XXᵉ siècle. Maintenant, on sait qu’en fait ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe. Mais ce modèle reste utile pour plein de choses, pour expliquer plein de choses, notamment les liaisons chimiques. Et Bohr est celui qui a eu l'idée de cet atome où on a le noyau au milieu et les électrons qui tournent autour, qui est d'ailleurs le modèle que 99 % des gens ont en tête quand ils pensent un atome, alors qu'en fait ce n'est pas vraiment un noyau avec des électrons qui tournent autour. Mais si on peut se représenter les choses comme ça, ça permet d'expliquer beaucoup de choses.
Léa Minod : Et pourquoi cette référence à la religion à travers le père Paolini ? Et en même temps l'idée du « grand architecte » qui est aussi une périphrase qu'on emploie pour parler de Dieu ?
Jacques Petitpré : C'est une très bonne question. Je pense que c'est lié à l'époque, à mon avis. Dans les années 50, on pouvait se permettre cela. Il y a aussi l'idée que la physique est vécue par certains comme quelque chose qui peut expliquer les règles de l'univers. Vous savez en fait, en physique, à un certain moment, c'était à la mode de parler de la « théorie du Tout », une théorie qui expliquerait absolument tout et là effectivement il y a quelque chose d'un peu religieux presque. Donc je pense que c'est pour ça qu'il y a ce genre de référence.
Léa Minod : Ce n'est pas une volonté de se moquer ?
Jacques Petitpré : De la religion ?
Léa Minod : De la tentative de tout expliquer, de la religion !
Jacques Petitpré : Alors là, vraiment, je ne pourrais pas parler à la place de Gamow. Mais dans les années 50, je ne pense pas honnêtement. Je ne pense pas qu'il se permettrait de se moquer de ça. Il se moque peut-être un peu de la religion parce qu'il se trouve que Wolfang Pauli était un petit homme un petit peu rond, chauve, c’est comme ça aussi qu'on s'imagine souvent les prêtres. Mais je ne pense pas qu'il y avait de la part de Gamow cette volonté.
Léa Minod : Quand on se plonge dans le texte sans aucune connaissance scientifique, il faut aussi accepter de lâcher prise et que des concepts comme par exemple l’électron de valence, soient d'abord évoqués dans un premier temps sans qu'on en ait l'explication, puis expliqué dans un deuxième temps… Est-ce que c'est aussi cette démarche là que vous aviez quand vous étiez enfant à 10 ans, d’accepter de ne pas tout comprendre ?
Jacques Petitpré : Tout à fait, je pense que c’est tout à fait important, c'est notamment la démarche de Monsieur Tompkins aussi quand il va aux conférences, il ne comprend pas ce qui se passe, il s'endort et là il comprend les choses. C'est la différence entre un cours et une démarche de vulgarisation. Dans une démarche de vulgarisation on est là pour transmettre des connaissances, mais on n'est pas là pour transmettre des formules. On est là pour transmettre d'abord et avant tout la curiosité, pour transmettre le merveilleux, les connaissances sont là et elles sont tout à fait importantes, mais si elles sont seules, on est dans un cours, on n'est pas dans la vulgarisation. Donc effectivement il faut accepter au départ qu’il y ait certaines choses qu'on ne comprend pas et faire confiance aux vulgarisateurs pour que, à la fin de son texte, on ait compris ce qu’on ne comprenait pas. Par contre si on se bloque, si on se dit « ah ben non, ça c'est trop compliqué, moi je ne comprends pas », on ne va pas être suffisamment ouvert pour avoir toutes les explications qui vont nous permettre à la fin de comprendre.
Léa Minod : On peut lire ce texte sans avoir les bases scientifiques qui nous permettent de le comprendre entièrement ?
Jacques Petitpré : Tout à fait, alors là, sans aucun doute. A 10 ans, j'étais très loin d'avoir les bases scientifiques pour le comprendre. Et j'ai d’ailleurs une petite anecdote que je trouve assez étonnante, sur « le remplissage des couches électroniques ». J'ai lu ce texte quand j'avais 10 ans et ensuite c'était en première ou en terminale que j'ai appris cela en cours, et je me suis rendu compte que c’étaient des choses que je connaissais déjà parce que 8 ou 9 ans auparavant, je les avais lus dans un ouvrage de vulgarisation. Dans celui-là, tout à fait ! Je n'avais pas les notions de couches k, l, m et tout ça, mais j'avais déjà les notions que les électrons se mettent par couches, qu'il y avait des électrons qui vont aller combler des vides dans d'autres atomes. Toutes ces notions fondamentales, je les avais ; même si je ne mettais pas encore de mathématiques dessus.
Léa Minod : C'est à dire que vous aviez été imprégné par le texte à votre insu ?
Jacques Petitpré : Oui, tout à fait. Le texte avait mis des choses en moi, donc je me suis rendu compte après combien elles étaient fondamentales et importantes.
Léa Minod : Et qu'est-ce que ça vous a fait de vous rendre compte de ça, à ce moment-là ?
Jacques Petitpré : A ce moment-là, je me suis rendu compte de l'importance de la vulgarisation. Montrer ce en quoi les sciences sont simples, montrer ce en quoi les sciences ont un aspect simple, ou un aspect beau, ou un aspect poétique, ou un aspect merveilleux. Parce que j'avais pu, à 10 ans, avoir accès à des notions fondamentales de la physique que je n'avais pas encore intellectuellement les moyens d'appréhender. Et ça, c'est la vulgarisation !
Léa Minod : Mais c'est merveilleux !
Jacques Petitpré : Oui, sans aucun doute.
Léa Minod : Dans ce texte, on a l'impression de plonger dans l'infiniment petit. Mais en fait, c'est l'anthropomorphisme qui est au cœur du récit, c'est à dire que les électrons vont pouvoir avoir des intentions. Ils vont pouvoir chanter comme le feraient des hommes, mais infiniment petits. Est-ce que c'est ça qui fait un peu aussi toute la force de la vulgarisation de Gamow ?
Jacques Petitpré : Oui, et ça c'est quelque chose auquel je tiens beaucoup, qui est très clivant parmi les gens qui font de la vulgarisation ou les physiciens. Depuis quelques années, l'anthropomorphisme, si je puis dire, n'est pas du tout à la mode, il est même proscrit, et je trouve ça un petit peu dommage. Mais ça, c'est mon avis personnel parce que ça permet de faire passer des notions très fines. Par exemple Monsieur Tompkins quand il est dans un électron tout seul, il ne se dit pas « je vais aller me lier à tel atome pour des raisons de potentiel chimique ou quoi que ce soit ». Non, il dit que c’est parce qu’il se sent seul, parce que sa femme lui manque. Alors en soit évidemment, ça n'a pas de sens. Un électron, sa femme ne lui manque pas. Mais on a fait passer la notion que l'électron va naturellement essayer de se coller à un autre électron. C’est à dire qu’en utilisant des sentiments, on peut faire passer des notions très, très fines, au moins un petit peu, et ça fait partie du jeu. Puis les lecteurs sont suffisamment avertis ; ils savent bien qu'un électron n'a pas de sentiments. Mais se dire pendant un instant qu'il a des sentiments, ça permet d'expliquer des choses.
Léa Minod : Et c'est ce que vous faites dans vos médiations ?
Jacques Petitpré : Non. Honnêtement, je ne le fais pas forcément, parce qu'il faut un très, très grand talent pour faire ça, sans dire de grosses bêtises. Je le fais un petit peu ou quand je le fais, je le dis « quand des électrons veulent aller là ou là » je dis « mais bien sûr, les électrons ne veulent pas, mais on va faire comme si ! ». Donc j'aimerais avoir le talent de le faire, mais ce n'est pas donné à tout le monde.
Léa Minod : Et une dernière question pourquoi est-ce que c'était important pour vous aujourd'hui de nous faire entendre ce texte ?
Jacques Petitpré : Je pense que ça reste, même 60 ans après, une magnifique introduction à la beauté de la physique. C’est une chose qui reste très actuelle et c'est une façon aussi de vulgariser. Donc non, je pense qu'on est un petit peu perdu aujourd'hui, on est maintenant dans la description. On a enlevé tout le sentiment je trouve, beaucoup du merveilleux, beaucoup de l’humain de la vulgarisation. La vulgarisation est devenue beaucoup plus aseptisée et c'est un peu dommage qu'on ait perdu ça.
Léa Minod : Donc pour vous, ça serait remettre du merveilleux -puisque ça s'appelle comme ça en fait le premier livre de Gamow- dans la vulgarisation scientifique ?
Jacques Petitpré : Voilà, en tout cas c’est une manière de faire, tout à fait. On trouve encore du merveilleux dans la vulgarisation aujourd'hui, mais pas de la façon dont on le trouve dans Les aventures de Monsieur Tompkins.
Léa Minod : Merci. Est-ce qu’il y a des questions dans le public ?
Question Public 1 : Moi je voulais revenir sur la discussion où on se demandait s'il se moquait de la religion, est-ce que ce ne serait peut-être pas plutôt dans l'autre sens ? N’y avait-il pas un petit côté peut-être un peu moqueur vis-à-vis de Bohr ou de Paoli ? C'est à dire « Voilà y’a des gens qui vont tout expliquer » ! Comme si un peu Bohr était le pape de la physique, avec peut-être un peu d'ironie ou je ne sais pas.
Jacques Petitpré : Effectivement, encore une fois je ne suis pas dans l’esprit de Gamow mais ça me semble être beaucoup plus ça. Cette explication me parle beaucoup plus. J'imagine plutôt ça. Si on pouvait penser à sa place, ça me semblerait plus se rapprocher de cela, ça me parlerait plus qu’il se moque un peu de certains grands physiciens. Alors ce n’est pas forcément certains grands physiciens ayant la prétention d’expliquer le monde, c'est plutôt ce qu'on leur fait dire après coup. La plupart du temps, eux, ils sont conscients des limites de leurs travaux.
Question Public 2 : Moi, j'ai une petite question. Est-ce qu'on peut faire ça un peu dans tous les domaines de la physique, c'est à dire est-ce qu'on peut vulgariser comme on vient de le faire avec les atomes, pratiquement tout… est-ce qu'on peut, au fond, arriver à essayer de trouver cette manière de présenter, comme les électrons qui parlent en quelque sorte.
Jacques Petitpré : Oui, la démarche peut être appliquée à d'autres domaines de la physique. D'ailleurs, le premier tome parle de physique quantique et de relativité. Le deuxième parle de physique statistique plutôt. Chaque tome étant un recueil d'articles. Donc là, on va plutôt parler de la structure de l'atome, du noyau, des électrons, de choses un peu différentes. Et après Monsieur Tompkins va continuer son exploration puisque en 1969, je crois, Monsieur Tompkins s’explore lui-même ! Et on parle de biologie à ce moment-là. Donc oui, c'est quelque chose qu'on peut imaginer dans plein d'autres domaines.
Et juste une toute petite anecdote sur le fait de plonger au cœur de la science : Le nom de Monsieur Tompkins, on ne sait pas d’où vient ce prénom et les trois initiales qu’il y a avant lui c'est C-G-H Tompkins . CGH étant les trois grandes constantes universelles de la physique. Et souvent il va jouer sur ces constantes pour faire plonger Tompkins dans le monde de la physique. Par exemple, quand il veut lui faire expérimenter la relativité, la vitesse de la lumière qui est de 300 000 kilomètres/seconde, il va la faire tomber à 30 mètres/secondes et d'un coup les phénomènes relativistes deviennent sensibles aux êtres humains.
Léa Minod : Merci beaucoup. (applaudissements)
C'est donc à la veille de la Seconde Guerre mondiale, lorsque l'humanité rétrécit sa pensée et cloisonne ses espaces, que Gamow, devenu citoyen américain, commence à donner vie au personnage de Monsieur Tompkins. Il imagine alors un univers quantique où les notions de territoire et de frontières sont perméables. Une ode à la vie ! La science libre dans l'infiniment petit. Et comme si le monde avait pris le relai, il s'éteindra en 1968, tandis que la jeunesse faisait valser les cadres.
Voix off : Merci à Jacques Petitpré et au reste de l'équipe des médiateurs et médiatrices du Palais de la Découverte ainsi qu'au public.
Lecture en direct : Moise Courilleau.
Une interview signée Léa Minod.
Sound design et réalisation Bertrand Chaumeton.
« Sciences Lues » est une série de podcasts originaux réalisés par Écran Sonore et produite par Universcience.
Retrouvez « Sciences Lues » sur toutes les plateformes de podcast ainsi que sur le site www.palais-decouverte.fr.
Ce texte est tiré d’un livre de George Gamow, un grand nom de la physique de la première moitié XXe siècle. Époque bénie, s’il en est. Hélas les plus grands physiciens ne sont pas forcément les meilleurs professeurs ni les meilleurs vulgarisateurs. Heureusement, il y a quelques grandes exceptions parmi lesquelles George Gamow.
Il est notamment l’auteur des quatre volumes des aventures de M.Tompkins. On y parle de physique bien entendu mais également de chimie et de biologie.
Monsieur Tompkins est un homme curieux et ouvert mais pas scientifique qui va plonger au cœur de ses rêves pour y découvrir un monde fantasmagorique, celui de la science. Il est à noter que sa femme, madame Tompkins, si elle n’a pas le rôle principal, est présente et fort bien considérée pour l’époque (les années 50). N’exagérons pas non plus, le rôle de l’autorité scientifique est dévolu à son père, physicien, le beau-père de M.Tompkins !
Ce texte est issu du deuxième volume : « M.Tompkins explore l’atome ». Comme à son habitude, notre héros s’endort, ici lors des conférences soporifiques de son beau-père physicien. Monsieur Tompkins va se rêver au cœur de la matière, baigné dans les notions abstraites dont parle son beau-père. Il ne va pas seulement comprendre ces notions, il va les vivre. Il va également y rencontrer l'un des plus grands physiciens de l’époque, Wolfgang. Pauli d’une façon pour le moins inattendue !
Voici comment monsieur Tompkins rêve du remplissage des couches électroniques d’un atome et de la notion d’électron de valence.
Quand il s’enfonça dans son sommeil, l’inconfort de son siège austère disparut, pour faire place à l’agréable sensation de flotter dans les airs ; il ouvrit les yeux et eut la surprise de se trouver filant à travers l’espace à une assez bonne vitesse, Regardant autour de lui, il se rendit compte qu'il n’était pas seul dans ce voyage fantastique. Beaucoup de formes vagues et nébuleuses évoluaient, comme lui, autour d’un objet de grande taille et qui paraissait lourd. Ces êtres étranges voyageaient par paires en se poursuivant gaiement sur des pistes circulaires où elliptiques. M. Tompkins se sentit soudain tout malheureux, car, seul de tout le groupe, il n’avait pas de compagnon. « Pourquoi n’ai-je pas emmené Maud ? » se demandait-il tristement. « Nous nous serions bien amusés dans cette foule joyeuse ». La piste sur laquelle il se mouvait était extérieure aux autres, et il avait très envie de se joindre à la bande, mais la pénible impression d'être un individu excentrique l’en empêchait. Malgré tout, quand un des électrons passa près de lui (car M. Tompkins avait compris qu’il se trouvait mêlé à la communauté électronique d’un atome), il ne put se retenir de lui faire part de ses ennuis. « Pourquoi n’ai-je personne pour jouer avec moi? » lui cria-t-il. « Parce que cet atome est impair, et que vous êtes l’électron de valence », lui lança l’électron en virant et en se replongeant dans la foule dansante. « Les électrons de valence vivent seuls où trouvent des compagnons dans d’autres atomes », cria le soprano strident d’un autre électron, qui passait devant lui à toute vitesse. « S'il te faut un bon copain,« Saute dans le chlore et tends la main» chantait un autre d’un air moqueur. « Je vois que vous êtes nouveau ici, mon fils, et que vous vous sentez très seul » dit affectueusement une voix au-dessus de lui. En levant les yeux, M. Tompkins aperçut la large silhouette d'un moine vêtu d’une robe brune. « Je suis le Père Paulini », continua le moine en parcourant la piste avec M. Tompkins, «et ma mission sur terre est de veiller sur la vie physique et morale des électrons, dans les atomes et partout ailleurs. C’est mon devoir de distribuer comme il faut ces folâtres particules sur les différentes couches quantiques des belles structures atomiques construites par notre grand architecte Niels Bohr. Afin de maintenir l’ordre et de sauvegarder les convenances, je ne permets jamais à plus de deux électrons d'emprunter la même piste; vous savez bien que les ménages à trois créent toujours des difficultés. Les électrons sont donc en tous temps groupés par paires de « spin » opposé, et aucun intrus n'est admis sur une piste déjà occupée par un couple. C'est une bonne loi, et je dois ajouter qu'aucun électron n'a encore enfreint mes ordres. » « C’est peut-être une bonne loi », objecta M. Tompkins, « mais elle ne me convient guère en ce moment. » « Je comprends », dit le moine en souriant. « Vous n'avez vraiment pas de chance d’être électron de valence dans un atome impair. À cause de la charge électrique de son noyau l’atome de sodium dont vous faites partie a droit à onze électrons en tout (le noyau est cette grosse masse noire que vous voyez au centre). Malheureusement pour vous, onze est un nombre impair, ce qui n’est pas inhabituel, puisqu'un nombre sur deux est impair, et un sur deux pair. Comme vous êtes le dernier arrivant, vous allez rester seul quelque temps. » « Vous voulez dire que j'ai quelque chance de m'en tirer plus tard? » s'empressa de demander M. Tompkins. « Par exemple en chassant l’un des anciens ? » « Pas exactement », dit le moine en le menaçant de son index charnu. « Pourtant, il peut toujours se faire qu'un des membres d’un cercle intérieur soit projeté au dehors par une perturbation étrangère ; et cela libérerait une place. Mais si j’étais vous, je n’y compterais pas trop. » « Ils m'ont dit que je devrais aller dans du chlore », dit M. Tompkins, déçu des paroles du Père Paulini. « Pouvez-vous m’expliquer comment il faut faire ? » « Jeune homme, jeune homme!» soupira le moine tristement, « pourquoi recherchez-vous à ce point la compagnie ?Ne pouvez-vous jouir de votre solitude et de l’occasion que le Ciel vous envoie de contempler votre âme en toute sérénité? Pourquoi les électrons impairs doivent-ils toujours aspirer à la vie temporelle ?.… Pourtant, si vous insistez pour ne pas rester seul, je vous aiderai à réaliser votre souhait. Regardez dans la direction que je vous indique, vous verrez un atome de chlore qui s'approche de nous, et même à cette distance vous pourrez apercevoir une place inoccupée où vous seriez très certainement le bienvenu. La place vide se trouve dans le groupe des électrons extérieurs, ou « couche M », qui doit être composée de huit électrons accouplés en quatre paires. Quatre électrons parcourent la piste dans un sens, et trois seulement dans l’autre, ce qui laisse une place vacante, Les couches internes, connues sous le nom de « couches K » et «I» sont complètement remplies et l'atome sera très heureux de vous recevoir pour compléter sa couche extérieure. Quand les deux atomes seront l'un près de l'autre, vous n'aurez qu'à sauter, comme le font tous les électrons de valence. Que la paix soit avec vous, mon fils! » Sur ces mots, l’impressionnante silhouette du prêtre électronique s‘évanouit soudain dans l'air.
Quand il s’enfonça dans son sommeil, l’inconfort de son siège austère disparut, pour faire place à l’agréable sensation de flotter dans les airs ; il ouvrit les yeux et eut la surprise de se trouver filant à travers l’espace à une assez bonne vitesse,
La piste sur laquelle il se mouvait était extérieure aux autres, et il avait très envie de se joindre à la bande, mais la pénible impression d'être un individu excentrique l’en empêchait. Malgré tout, quand un des électrons passa près de lui (car M. Tompkins avait compris qu’il se trouvait mêlé à la communauté électronique d’un atome), il ne put se retenir de lui faire part de ses ennuis.
« S'il te faut un bon copain,« Saute dans le chlore et tends la main» chantait un autre d’un air moqueur.
« Jeune homme, jeune homme!» soupira le moine tristement, « pourquoi recherchez-vous à ce point la compagnie ?Ne pouvez-vous jouir de votre solitude et de l’occasion que le Ciel vous envoie de contempler votre âme en toute sérénité? Pourquoi les électrons impairs doivent-ils toujours aspirer à la vie temporelle ?.… Pourtant, si vous insistez pour ne pas rester seul, je vous aiderai à réaliser votre souhait. Regardez dans la direction que je vous indique, vous verrez un atome de chlore qui s'approche de nous, et même à cette distance vous pourrez apercevoir une place inoccupée où vous seriez très certainement le bienvenu. La place vide se trouve dans le groupe des électrons extérieurs, ou « couche M », qui doit être composée de huit électrons accouplés en quatre paires. Quatre électrons parcourent la piste dans un sens, et trois seulement dans l’autre, ce qui laisse une place vacante, Les couches internes, connues sous le nom de « couches K » et «I» sont complètement remplies et l'atome sera très heureux de vous recevoir pour compléter sa couche extérieure. Quand les deux atomes seront l'un près de l'autre, vous n'aurez qu'à sauter, comme le font tous les électrons de valence. Que la paix soit avec vous, mon fils! » Sur ces mots, l’impressionnante silhouette du prêtre électronique s‘évanouit soudain dans l'air.
Robin Jamet, notre médiateur en mathématiques, nous plonge dans son univers à travers la lecture de deux textes extraits des œuvres « Espèce d’espace » et « Penser/Classer ».
Laure Cornu, notre médiatrice en mathématiques, nous partage la lecture d’extraits de la correspondance entre Sophie Germain et Carl Friederich Gauss.
Tanguy Schindler, notre médiateur en sciences de la vie, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’ouvrage de Stephen Jay Gould « Et Dieu dit : « que Darwin soit ».
Tous les épisodes