Les Étincelles du Palais de la découverte
La médiation scientifique
Découvrez le futur Palais
Tanguy Schindler, notre médiateur en sciences de la vie, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’ouvrage de Stephen Jay Gould « Et Dieu dit : "Que Darwin soit !" », paru en 1999. Ce texte nous présente sa théorie du non recouvrement des magistères qui, selon Stephen Jay Gould, pourrait ramener la paix entre la religion et la science. Il nous invite ainsi à considérer que la science et la religion posent des regards disjoints sur le monde et qu’en aucun cas l’une ne peut expliquer l’autre.
Alexandre Héraud (Voix off) Tanguy Schindler (Médiateur) Léa Minod (Journaliste) Audrey Stupovski (Lecture en direct)
Voix off : Le Palais de la Découverte présente « Sciences Lues », un podcast pour s'immerger dans la culture scientifique de Démocrite à nos jours.
Épisode 6 : Et Dieu dit « Que Darwin soit ! », un texte de Stephen Jay Gould.
Léa Minod : À quelques mètres du parc André-Citroën, dans le 15ᵉ arrondissement, d'étranges toitures colorées prennent la forme de flèches et pointent leur nez vers le ciel. C'est là, aux Etincelles, que travaille Tanguy Schindler pendant la rénovation du Palais de la Découverte. Médiateur en sciences de la vie, il transmet sa passion depuis plus de 20 ans aux petits et grands curieux qui en poussent la porte. Installé dans le noir et équipé de casques Bluetooth, le public tend l'oreille aux mots de Stephen Jay Gould. Sur scène, la comédienne Audrey Stupovski s'empare du texte, tandis que notre réalisateur plonge le public dans un environnement sonore conçu sur mesure.
Léa Minod : Bonjour Tanguy Schindler.
Tanguy Schindler : Bonjour Léa.
Léa Minod : Pour cet épisode de « Science Lues », vous avez choisi un extrait de :"Et Dieu dit que Darwin soit" de Stephen Jay Gould. Est-ce que, déjà, vous pouvez nous dire qui est Stephen Jay Gould ?
Tanguy Schindler : Oui. Stephen Jay Gould est un biologiste de l'évolution. Il a étudié et publié un certain nombre d'articles dans le domaine. Il est surtout pour moi un vulgarisateur de la science et principalement de la théorie de l'évolution, en plus de ça, il est écrivain. Il a publié un grand nombre d'ouvrages qui traitent de ces problématiques, de la théorie de l'évolution.
Léa Minod : Est-ce qu'il est toujours vivant?
Tanguy Schindler : Alors non, il est décédé en 2002.
Léa Minod : Est-ce que vous pouvez me dire en quoi lui était, par exemple, opposé au mouvement créationniste ?
Tanguy Schindler : En fait, c'est pratiquement une opposition de principe puisque lui il est évolutionniste, c'est-à-dire qu'il considère que Darwin avait raison. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on retrouve ce nom de Darwin dans le titre de l'ouvrage. Darwin énonce au XIXᵉ siècle une théorie qui dit que le vivant a suivi un changement plus ou moins graduel et qui conduit, aujourd'hui, aux espèces que nous pouvons observer. Ça s'oppose complètement à la pensée religieuse classique et orthodoxe, qui considère que le monde a été construit figé, d'un bloc et que les animaux ne bougent pas du tout. Donc forcément, cette théorie et la théorie de l'évolution s'opposent complètement de ce point de vue. Et dans le courant des années 60-70, il y a un mouvement que l'on appelle "mouvement créationniste" qui considère que la Bible a absolument raison et qu'il faut rejeter toute théorie qui s'opposerait à ce qui est professé par la Bible.
Léa Minod : Et il y a aussi la théorie de l'intelligence design. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
Tanguy Schindler : Alors oui, on peut en parler quelques instants, c'est-à-dire que la théorie de l'intelligence design, c'est une modernisation, finalement, du créationniste. Le créationniste, je l'évoquais, est très vieux. C'est finalement une opposition qui est assez vieille, qui commence au moment où Darwin publie "De l'origine des espèces". On va avoir des chercheurs ou des gens un peu plus éveillés intellectuellement qui vont en fait dire: "On ne veut pas s'opposer, comme ça, brutalement à la théorie de l'évolution, il y a un certain nombre de faits et de phénomènes qu'on observe et qu'on ne peut pas juste balayer d'un revers de main". Et donc, ils vont mettre en place une théorie qui considère que le vivant a eu un changement, mais que ce changement est piloté de manière intelligente. C'est ça le dessein intelligent, c'est-à-dire le but intelligent. C'est qu'il y a une intelligence derrière le devenir du vivant. Il est assez simple de passer de cette idée qu'il y aurait un plan et qu'il y a quelqu'un qui dessine ce plan, et ce quelqu'un est une entité divine.
Léa Minod : Et qui serait l'aboutissement de ce dessein intelligent ?
Tanguy Schindler : Alors pour eux, il semblerait que ça soit l'espèce humaine. Donc ça veut dire qu'ils ont une représentation qui est aussi hiérarchisée de la société, c'est-à-dire une sorte de pyramide de ce que pourrait être la vie. D’ailleurs, les premières pensées un peu évolutives sont un peu comme ça. C'est-à-dire qu'on voit le vivant comme le fait qu’on gravit des étapes jusqu'à une espèce qui est un peu mieux que les autres, qui serait l'espèce humaine. Or, aujourd'hui, la plupart des données et des consensus de recherche aboutissent à l'idée que, en fait, toutes les espèces ont subi le processus de sélection et d'évolution, et que toutes les espèces qu'on peut observer aujourd'hui ont le même degré de complexité ou d'évolution, les unes par rapport aux autres. C'est-à-dire, que nous, on n'est pas plus évolués qu'une bactérie ou qu'un ver de terre, on est tout aussi évolué. Simplement, on va s'intéresser à des degrés de complexité qui vont être en fait différents entre les espèces.
Léa Minod : Et vous pensez, vous, que l'homme est l'espèce la plus complexe qui existe sur Terre ?
Tanguy Schindler : Ça dépend comment on définit la complexité. Biologiquement parlant, la complexité d'une cellule est telle qu’aujourd'hui, on n'est déjà pas capable de la modéliser et de l'expliquer. Donc, est-ce que, nous, on est plus complexes ? Moi, je pense pas parce que c'est vraiment se positionner à part, par rapport au vivant. Or, il n'y a pas de raison. Effectivement, si on se place sur notre capacité à raisonner, à avoir une conscience, il semblerait qu'on soit la seule espèce à y avoir accès et à en parler. Maintenant, ça ne veut pas dire que les autres espèces n'ont pas de conscience. Ça veut dire que nous, dans la façon dont on a défini et construit les choses, intellectuellement, on a du mal à s'affranchir de ces modèles-là. C'est peut-être juste parce que notre capacité à construire des modèles et à sortir de ces boîtes, entraîne, en fait, cette impression d'avoir des individus qui sont supérieurs à d'autres, mieux que d'autres. Finalement, c'est peut-être juste notre système de pensée qui est un peu biaisé et qui entraîne cette perception du vivant.
Léa Minod : Et alors dans le titre :"Et Dieu dit que Darwin soit", on a l'impression que c'est donc Dieu qui légitimise la théorie évolutionniste. A quoi vous fait penser ce titre ?
Tanguy Schindler : Je pense que ce titre, en fait, c’est un pied de nez. Pour moi, c'est une façon humoristique de présenter les choses. Pendant qu'on parle, il faut imaginer que nous, en France, le débat entre religion et évolution est relativement faible. Il peut exister, mais il est relativement faible. Aux Etats-Unis, ce débat est encore en cours aujourd'hui, pendant qu'on discute, et principalement, fin des années 90. Il a écrit le livre en 1999. Du coup, le débat est encore un peu plus fort à cette époque-là. Et je pense qu'il a écrit ça comme une sorte de pied de nez, parce qu'effectivement, c'est finalement Dieu qui ferait émerger quelque chose, une théorie qui viendrait contredire d'une certaine manière, pour pas mal de biologistes, la façon qu'on a de concevoir Dieu. Et en tout cas la façon dont le vivant s'est construit par rapport à un être divin. Donc c'est vraiment une ironie. Et je pense que c'est vraiment pour nous dire que si Darwin existe, Darwin a raison d'exister. Darwin a raison de nous donner sa théorie de l'évolution. La théorie de l'évolution est juste, mais ce n'est pas juste, en fait… Le terme de théorie est ambigu, en français, il est sémantiquement complexe. Et du coup, on s'aperçoit que ça recouvre un peu plus de choses que la théorie scientifique, ça veut dire que quelque chose n'est pas abouti. En réalité, aujourd'hui, il y a des preuves, c'est démontré. Il y a, à ma connaissance, pas de chercheurs pertinents qui viennent remettre en cause cet objet qui est l'évolution.
Léa Minod : Et pourquoi vous avez choisi ce texte en tant que biologue et pas un texte plus célèbre de lui, comme "Un hérisson dans la tempête" ou « Le sourire du flamant rose » ?
Tanguy Schindler : Alors parce que pour moi, si le titre est provocant, je trouve que le sujet aussi est provocant. Et ce qui m'intéressait, c'était d'avoir un texte qui ne soit pas juste un texte qui parle de science, mais qui parle aussi de la science dans un contexte un peu plus large. Et pour moi, ce texte pose des questions qui, en tant que médiateur, c'est-à-dire quelqu'un qui, finalement, vulgarise –car je ne produis pas de savoir scientifique moi, je suis là pour transmettre ce savoir- ce sont des questionnements. C'est comment on peut parler à des personnes qui ne sont pas scientifiques et qui possèdent une foi, d'un sujet qui pourrait remettre en cause leur propre foi ? Et finalement, c'est la question que se pose beaucoup de biologistes qui parlent de ça. Et Stephen Jay Gould apporte une réponse qui est un peu originale à mon sens, parce qu'il n'est pas dans le conflit. Il est plutôt dans l'évitement d'un conflit puisque - on le verra à travers le texte - il propose une séparation, en fait, entre la pensée scientifique et la pensée religieuse. Ce qu'il appelle le non-recouvrement des magistères.
Léa Minod : Le NOMA.
Tanguy Schindler : Exactement.
Léa Minod : Alors, on ferme les yeux et on se plonge dans la pensée de Stephen Jay Gould.
Audrey Stupovski :
« Je ne vois pas comment l’on pourrait unifier ou seulement synthétiser science et religion en un projet commun d’explication ou d’analyse ; mais je ne comprends pas non plus pourquoi ces deux entreprises devraient se trouver en conflit. La science s’efforce de rendre compte des faits du monde naturel et de construire des théories pour les relier et les expliquer. La religion, quant à elle, s’occupe d’un domaine non moins important mais totalement différent, celui de nos buts, options et valeurs – questions que le point de vue scientifique peut sans doute éclairer, mais en aucun cas résoudre. En particulier, s’il est certain que les scientifiques doivent respecter des principes éthiques, dont certains liés à leur domaine particulier, la validité de ces principes ne saurait être déduite de leurs découvertes factuelles. Je propose de résumer ce principe majeur de respect mutuel sans interférence – qui n’exclut pas un intensif dialogue entre les deux secteurs, chacun s’occupant d’une facette essentielle de l’existence humaine – en énonçant le principe de NOMA, NOn-empiètement des MAgistères. J’espère que mes collègues catholiques ne m’en voudront pas de faire mien ce terme tiré de leur discours, puisqu’un magistère (du latin magister, c’est-à-dire « enseignant ») n’est pas autre chose qu’un domaine de compétence. Le mot « magistère » est certes un peu inusité, mais je le trouve si joliment approprié au dessein de ce livre que je me risque à infliger cette nouveauté au vocabulaire de nombre de lecteurs. Cette requête d’indulgence et de sacrifice se double d’une exigence : veuillez bien ne pas inclure le terme « magistère » dans une série presque homonyme, à la signification toute différente. « Majesté », « majestueux », etc., ont une tout autre connotation ; la confusion est fréquente, du fait que le catholicisme est également fort diligent en ce domaine. Ces mots ont une autre origine : majestas (mot lui-même dérivé de magnus, c’est-à-dire « grand »), qui implique domination et obéissance inconditionnelle. Bien différemment, un magistère est un domaine où une certaine forme d’enseignement détient les outils appropriés pour tenir un discours valable et apporter des solutions. Autrement dit, dans le cadre d’un magistère, on débat, on dialogue, tandis que face à la majesté s’imposent la révérence silencieuse et la soumission. Pour résumer, quitte à me répéter un peu, la nasse de la science, son magistère, concerne le domaine empirique : en quoi consiste l’Univers (les faits) et pourquoi il fonctionne ainsi (la théorie). Le magistère de la religion s’attache, lui, aux significations ultimes et aux valeurs morales. Ces deux magistères n’empiètent pas l’un sur l’autre. Par ailleurs, ils ne recouvrent pas toutes les sortes de recherche – que l’on songe notamment au magistère de l’art, au sens de la beauté. Pour reprendre des lieux communs, la science s’intéresse à l’âge des rocs, la religion au roc des âges ; la science étudie comment fonctionne le ciel, la religion comment faire pour le gagner. »
« Je ne vois pas comment l’on pourrait unifier ou seulement synthétiser science et religion en un projet commun d’explication ou d’analyse ; mais je ne comprends pas non plus pourquoi ces deux entreprises devraient se trouver en conflit. La science s’efforce de rendre compte des faits du monde naturel et de construire des théories pour les relier et les expliquer. La religion, quant à elle, s’occupe d’un domaine non moins important mais totalement différent, celui de nos buts, options et valeurs – questions que le point de vue scientifique peut sans doute éclairer, mais en aucun cas résoudre. En particulier, s’il est certain que les scientifiques doivent respecter des principes éthiques, dont certains liés à leur domaine particulier, la validité de ces principes ne saurait être déduite de leurs découvertes factuelles.
Je propose de résumer ce principe majeur de respect mutuel sans interférence – qui n’exclut pas un intensif dialogue entre les deux secteurs, chacun s’occupant d’une facette essentielle de l’existence humaine – en énonçant le principe de NOMA, NOn-empiètement des MAgistères. J’espère que mes collègues catholiques ne m’en voudront pas de faire mien ce terme tiré de leur discours, puisqu’un magistère (du latin magister, c’est-à-dire « enseignant ») n’est pas autre chose qu’un domaine de compétence.
Le mot « magistère » est certes un peu inusité, mais je le trouve si joliment approprié au dessein de ce livre que je me risque à infliger cette nouveauté au vocabulaire de nombre de lecteurs. Cette requête d’indulgence et de sacrifice se double d’une exigence : veuillez bien ne pas inclure le terme « magistère » dans une série presque homonyme, à la signification toute différente. « Majesté », « majestueux », etc., ont une tout autre connotation ; la confusion est fréquente, du fait que le catholicisme est également fort diligent en ce domaine. Ces mots ont une autre origine : majestas (mot lui-même dérivé de magnus, c’est-à-dire « grand »), qui implique domination et obéissance inconditionnelle. Bien différemment, un magistère est un domaine où une certaine forme d’enseignement détient les outils appropriés pour tenir un discours valable et apporter des solutions. Autrement dit, dans le cadre d’un magistère, on débat, on dialogue, tandis que face à la majesté s’imposent la révérence silencieuse et la soumission.
Pour résumer, quitte à me répéter un peu, la nasse de la science, son magistère, concerne le domaine empirique : en quoi consiste l’Univers (les faits) et pourquoi il fonctionne ainsi (la théorie). Le magistère de la religion s’attache, lui, aux significations ultimes et aux valeurs morales. Ces deux magistères n’empiètent pas l’un sur l’autre. Par ailleurs, ils ne recouvrent pas toutes les sortes de recherche – que l’on songe notamment au magistère de l’art, au sens de la beauté. Pour reprendre des lieux communs, la science s’intéresse à l’âge des rocs, la religion au roc des âges ; la science étudie comment fonctionne le ciel, la religion comment faire pour le gagner. »
Léa Minod : Alors, ici, il développe vraiment tout un argumentaire pour tenter de cloisonner la science et la religion, pour que l'une cesse d'empiéter sur l'autre. Pourquoi la science ne peut-elle pas étudier la question de l'existence de Dieu ?
Tanguy Schindler : Alors, là il faudrait avoir un débat beaucoup plus profond mais c'est la notion même de matérialisme. C'est-à-dire que la science s'intéresse à des objets qui existent, qui sont matériels, qui ont une existence, qu'on peut influencer, qu'on peut mesurer, avec lesquels on peut travailler.
Léa Minod : L'astronomie ?
Tanguy Schindler : L'astronomie, on peut mesurer des choses sur les étoiles, même les étoiles les plus lointaines qui sont hors de notre portée physique, elles envoient un certain nombre de phénomènes, des rayonnements, etc. Il faudrait voir ça plus en détail avec des astrophysiciens, mais globalement, on accède à des objets, on les mesure et on mesure un certain nombre de leurs caractéristiques. Le divin, par essence n’est pas matériel, il est dans l'immatériel. Et de fait, il n'est pas un objet de questionnement scientifique. Alors déjà, un des premiers, c’est Pascal avec son Pari qui va répondre à cette question, et qui explique que ce n'est pas un enjeu de science. On peut juste parier sur oui ou non sur l'existence de Dieu, mais on ne pourra jamais le démontrer. Et il n'y a aucune théorie scientifique qui vise à démontrer l'existence du divin. Il faudrait faire une mesure sur quelque chose auquel on n'a pas accès. Donc ça n'a pas de sens scientifiquement parlant.
Léa Minod : Et alors, donc la science et la religion ça serait, si je comprends bien, comme les différentes facettes d'un prisme. Ce prisme, ça pourrait être la vie sur terre. C'est ça ?
Tanguy Schindler : Oui, c'est ça. En tout cas, c'est 2 façons de regarder, peut-être, le monde qui nous entoure ou en tout cas de l'appréhender. Ça ne veut pas dire que l'un est plus vrai que l'autre. Ça veut dire que l'un, dans son domaine est vrai, et l'autre est, de fait, vrai uniquement dans le sien. C'est-à-dire que les théories scientifiques fonctionnent ensemble, elles décrivent un monde d'une certaine manière. Alors, on pourrait en discuter beaucoup plus en amont de savoir si Stephen Jay Gould qui est en fin de vie -puisque le texte est de 1999 et que lui qui va mourir en 2002-, ne tient pas le discours d'un homme vieillissant, fatigué par des années de conflits, d'oppositions à des créationnistes défendant l'intelligence design ? Ou est-ce que, simplement, c'est une réponse que lui a trouvée élégante au problème ? Lui dit, on va essayer d'arrêter de mélanger les genres et on va essayer de se dire : chacun travaille à construire quelque chose dans son domaine et ne va pas venir interférer dans le fonctionnement du domaine de l'autre. Et ce qu'il dit, c'est qu'on peut dialoguer. C'est-à-dire qu’il y a forcément des endroits où la barrière est un peu plus perméable que d'autres. Typiquement, sur les notions d'éthique, de morale où là, effectivement, peut-être qu'un éclairage religieux peut venir apporter des choses à la science. Mais la science, de toute façon, ne définit pas l'éthique. On applique de l'éthique en science, c'est-à-dire qu'on a des comportements qui correspondent à une morale et à une éthique pour produire de la science de qualité. On ne fait pas tout et n'importe quoi. Principalement, quand on travaille sur le vivant, on n'expérimente pas sur le vivant, en dépit de valeurs morales et d'éthique. Donc ça, c'est important, mais ce n'est pas la science qui définit ça, c'est sociétal. Et donc dans le sociétal, il peut y avoir un parti-pris religieux.
Léa Minod : Qu'est-ce qui se passe si jamais on ne réconcilie pas la vision de ces deux mondes ? Quel est le risque ? Quel est l'enjeu majeur d'un tel conflit ?
Tanguy Schindler : S’il y a un conflit, on peut imaginer que le conflit peut aller jusqu'au bout et, qu'à un moment donné, il y a une victoire d'un camp par rapport à l'autre. C'est ce qui est arrivé. Historiquement, la religion était beaucoup plus forte que la science, on parle du Moyen Âge, ou en tout cas jusqu'à la Renaissance, XVIᵉ, XVᵉ siècle à peu près. Il y avait un certain nombre des choses qui étaient interdites parce que c'était considéré comme étant du domaine du religieux. Le corps était sacré donc, par exemple, on ne pouvait pas faire de dissection, de vivisection et cela a été des freins à la connaissance. Il a fallu des personnes qui aillent à l'encontre de ces interdits moraux et qui, du coup, ont montré qu'il y avait un intérêt et ont remis en cause ces valeurs-là. Ça veut dire que si la religion l'emporte sur la science, la science va se retrouver bloquée, d'une certaine manière, ou en tout cas va se retrouver limitée dans un certain nombre de choses. Et à l'inverse, peut-être qu'une science qui n'aurait pas de contrepartie, peut-être religieuse, morale ou éthique serait complètement aberrante, pas fausse, mais en tout cas ne respectant plus l'individu en tant que tel. Donc ça, c'est effectivement: "Science sans conscience et mort de l'âme" qui est une phrase assez célèbre qu'on entend souvent pour limiter le propos scientifique. Donc, probablement, il y a peut-être un déséquilibre.
Léa Minod : Et c'est vraiment un débat de société aujourd'hui aux Etats-Unis ?
Tanguy Schindler : Oui, ça nous surprend parce que, il y a d'autres débats en France, mais pour nous ce débat n'existe pas du tout. En tout cas, il est très, très faible. Et effectivement, c'est aujourd'hui un débat de société. Alors pareil, il faudrait discuter avec des personnes qui s'intéressent vraiment à ça et qui le vivent au quotidien. Mais aujourd'hui, par exemple dans les écoles, il y a des États qui permettent l'enseignement au même niveau de la théorie évolutionniste et de l'intelligent design ou du créationnisme. Or, on s'aperçoit que ce n'est pas les mêmes explications du monde et ils ne sont pas au même niveau. Il y en a un qui est dans un champ qui est le champ de la recherche et l'autre qui est le champ d'une définition de la croyance de Dieu, du religieux. Et ça, ça pose un problème parce que du coup, ça permet à certaines personnes d'imposer et de limiter des idées. Par exemple, il y a même des endroits où des personnes considèrent qu'il ne faut pas enseigner la théorie de l'évolution parce qu'elle va à l'encontre de ce qui est écrit dans les livres sacrés. Donc cela est aussi un point de vue, c'est l'orthodoxie religieuse, quelle qu'elle soit, d'ailleurs, qui va rentrer en conflit avec cette théorie-là. Et donc, on le voit, il y a certains pays où certaines théories sont complètement rejetées ou certaines façons de traiter la science sont rejetées pour justement coller à un modèle religieux. Alors là on parle religieux, mais il semblerait pour juste ouvrir une parenthèse un peu plus large que, par exemple, pendant la Révolution culturelle en Chine, on demandait aux théories scientifiques de suivre les théories sociétales de la Révolution culturelle. Donc finalement, c'est toujours un risque pour la science, d'être sous contrôle d'orthodoxes, de personnes qui veulent façonner la science à une image et apporter des réponses qui viennent conforter leur propre positionnement alors que la science apporte des réponses, mais pas pour flatter une idéologie, elle apporte des réponses, point. La science n'a pas d'idéologie.
Léa Minod : Est-ce que cette théorie du non-recouvrement des magistères a essaimé ou est ce qu'elle est juste restée engrammée dans ce livre ?
Tanguy Schindler : Alors je pense qu'elle a assez peu essaimé. C'est d'ailleurs aussi pour ça que c'était intéressant pour moi de sortir le livre, pour en parler. Je pense que peu de gens ont lu cet ouvrage, même de Stephen Jay Gould, ce n'est pas considéré comme un de ses ouvrages majeurs. Vous citiez le "Sourire du flamant rose" ou d'autres "Le pouce du panda", etc, qui sont des ouvrages beaucoup plus connus. Là, on est vraiment sur quelque chose qui est purement littéraire, philosophique, qui est une réflexion, donc qui est assez peu connu. Et même dans le monde de la recherche, il y a des chercheurs -on peut parler de Dawkins qui a écrit "Le gène égoïste" qui, lui, considère que, par exemple, c'est un renoncement de la part de Stephen Jay Gould. Il a des termes beaucoup plus durs, voire même presque insultants vis-à-vis de Stephen Jay Gould quand il émet cette théorie-là.
Léa Minod : Pourquoi ?
Tanguy Schindler : Parce que Dawkins, lui, considère que la science doit combattre la religion, que Dieu n'existe pas, donc lui, c'est un fervent athée. Et il veut, pour lui, repousser et démontrer par le biais de la science que Dieu n'existe pas. Donc il y a aussi une forme d'orthodoxie d'ailleurs. C'est une forme d'orthodoxie scientifique. Et du coup, il est vraiment en désaccord avec Stephen Jay Gould. Finalement, le débat est loin d'être clos, mais je trouvais que, finalement, Stephen Jay Gould apportait une réponse un peu élégante. Et moi, c'est vraiment un côté assez pratique. C'est dans mon quotidien, ça me permet, justement, de cloisonner. Et même dans la discussion, de dire à des gens: "Effectivement, tu as une vision, une foi, une croyance, mais moi, je ne parle pas de ce domaine-là. Je ne suis pas là pour remettre en cause ta croyance. Je suis là juste pour parler de quelque chose qui est de la biologie, et dans le champ de la biologie, ce que l'on dit est que la théorie de l'évolution a tout son sens et a toute sa valeur. Et après, dans la foi de l'individu, on peut vivre et on peut se représenter le monde complètement différemment. Mais ça, c'est autre chose.
Léa Minod : Parce que vous en avez dans le public des personnes qui viennent vous voir à la fin d'un exposé en biologie et qui vous disent : "Ça va à l'encontre de ce que je crois" ?
Tanguy Schindler : Ça arrive quelquefois, c'est vraiment faible, mais ça arrive quelquefois. Je crois que la fois la plus surprenante, c'est une personne qui était venue me voir. Il s'était assis. Il était tout seul, pas par hasard, je pense. C'était en fin d'animation, il s'était assis dans la salle, il m'avait regardé en disant : "Je veux que vous me convainquiez que la théorie de l'évolution est vraie." Et déjà là, on sait que le combat est perdu puisque si je dois le convaincre, ça veut dire qu'il est en opposition par rapport à la théorie. Et donc on n'aura pas une discussion scientifique puisque je pense que la base scientifique, c'est d'être ouvert et d'être prêt à être repoussé dans ses limites et de changer d'opinion. C'est ça, un des phénomènes de la science.
Léa Minod : Donc, vous n'avez pas essayé ?
Tanguy Schindler : Si j'étais jeune, j'ai donc essayé, mais ça n'a vraiment pas marché. (rire)
Léa Minod : Et alors, pourquoi, c'était si important pour vous, aujourd'hui, en France - alors, on n'est pas aux Etats-Unis - de nous faire entendre cette proposition de conciliation entre la science et la religion ?
Tanguy Schindler : Je trouvais que ça mettait une petite touche, un peu, de philosophie. Ça permet de poser certaines questions et peut être de ne pas rester dans une discussion trop scientifico-scientifique finalement, de tourner autour d'un sujet de science. Et peut-être d'amener des gens qui écouteront le podcast de se poser vraiment la question par rapport à ça. Et de se positionner et de se dire: "Ah mais, on a une porte de réflexion qui est ouverte sur d'autres choses." Et peut-être que cette théorie du respect, qui est un respect mutuel, peut peut-être de dépasser le cadre, juste, de la discussion entre la religion et la science.
Léa Minod : Merci beaucoup. Est-ce qu'il y a des questions dans le public ?
Question Public 1 : Moi, j'ai une petite question parce que quand j'étais petite, je croyais à Adam et Ève, etc. Et puis quand j'ai eu mes premiers cours de SVT et qu'on m'a parlé de la théorie de l'évolution, je comprenais plus. J'étais perdue. Et en fait, à l'époque, comment ça s'est passé, quand il a émis sa théorie ?
Tanguy Schindler : Alors, ça ne s'est pas forcément très bien passé. Votre questionnement est assez intéressant, justement. Je le trouve vraiment plus que petit en vrai, puisqu'il est au cœur pour moi de l'ouvrage et de ce que dit Stephen Jay Gould qui est bien après Darwin. Ce que lui dit, justement, c'est que vous pouvez concilier Adam et Eve d'un certain point de vue et ne pas le remettre en cause. Voilà. Alors, peut-être pas de manière complètement brute, si on raisonne, mais en tout cas, ce n'est pas incompatible avec la théorie de l'évolution. Et quand Darwin lui a écrit "De l'origine des espèces", il s'est trouvé confronté à des gens, qui étaient des religieux, qui ne voulaient pas entendre parler de la formulation de cette théorie. Il a fallu du temps, il a fallu de la patience, il a fallu des gens qui soutiennent cette théorie pour qu'elle soit prise en compte, enseignée, démontrée et qu'elle devienne vraiment un objet de recherche. Et aujourd'hui, il n'y a pas de remise en cause fondamentale de la théorie. Voilà. Mais le début n'a pas été simple, non. Quand on s'oppose à un courant dominant, ce n’est jamais simple. Après, ce n'est pas parce qu'on s'oppose un courant dominant aussi, qu'on a raison. C'est aussi l'autre paradoxe. Darwin avait raison, il aurait pu avoir tort. Il y a d'autres gens qui ont professé d'autres choses à d'autres époques, qui étaient des courants minoritaires, qui sont restés minoritaires. Et on a pu démontrer qu'ils avaient tort. Mais c'est l'histoire de la science. La science, elle évolue aussi. Donc il y a que les choses les plus fiables et les plus stables qui vont continuer. Exactement comme le dit Darwin pour les espèces.
Question Public 2 : Question, donc, au médiateur confronté à toutes les questions, à toutes les interrogations. Là on parle que du champ de la chrétienté, j'allais dire, et du catholicisme. Donc, dans les autres monothéismes, les combats sont-ils aussi vifs ? Et on sait qu'aujourd'hui, vous êtes parfois confrontés à des jeunes publics qui sont eux-mêmes très perméables au fait religieux, voire même déjà dans des certitudes qui doivent vous déstabiliser, vous le scientifique, voire vous rendre presque parfois à court d'arguments, non ?
Tanguy Schindler : C'est en cela que, finalement, Stephen Jay Gould apporte une réponse, puisque, même si on a l'impression des fois qu'il peut botter en touche, quand il dit :"Le discours religieux ne doit pas venir interférer avec le discours scientifique. Donc, on peut les séparer ." Effectivement, dans un certain nombre de débats ou de discussions liées à la religion elle-même -je ne suis pas théologique non plus, donc c'est un rôle qui est compliqué parce que toutes les religions, même monothéistes ne sont pas équivalentes- le rapport au questionnement n'est pas du tout le même par exemple dans le judaïsme que dans l'islam ou dans le christianisme. Donc, c'est vraiment des choses qui sont très particulières et qui correspondent vraiment à la religion en question. Il y a un paradoxe ici c'est que moi, dans les personnes que je rencontre aussi, il y a des gens qui sont religieux, très marqués de par leur religion, de par leur habillement, de par leur attitude, qui sont présents et qui sont extrêmement ouverts à la discussion. Et qui sont là, justement, non pas pour remettre en cause la science, mais pour s'enrichir de la science. Donc finalement, même dans les pratiques religieuses, il y a des gens qui sont très rigoristes et qui sont très ouverts à la science. Finalement, c'est quelque chose qui est toujours en mouvement. Le métier, la médiation, c'est la rencontre non pas avec un public, c'est une rencontre avec des individus, et c'est dans leur individualité qu’il y a quelque chose qui se passe. Donc il y a des gens qui sont plus difficiles, mais mon rôle n'est pas de convaincre finalement, mon rôle est de donner des explications, des faits, des aides et des possibilités aux gens de les ouvrir à quelque chose, de les intéresser et de susciter de la curiosité. Donc, finalement, ils peuvent ne pas être convaincus par moi, mais si derrière, ils vont lire "De l'origine des espèces" de Darwin, finalement, j'aurais fait mon travail. Et après, c'est à eux de se construire et de construire leur pensée par rapport à l'ensemble de ce qu'ils vont avoir lu. Mon rôle n'est pas de leur dire, si je rencontre un prêtre, je ne veux pas qu'il défroque juste parce que je lui parle de Darwin. C'est vraiment ça. Après, justement, ça peut être intéressant d'avoir des gens pour savoir comment eux arrivent à faire la synthèse de deux mondes dans leur esprit. Je ne me souviens plus, mais j'avais lu une fois un témoignage d'un chercheur qui disait que lui, en fait, il basculait d'un monde à l'autre. Il était très croyant donc il pratiquait sa foi, sa croyance, etc. Et quand il faisait de la science, il basculait. Il ne tenait plus du tout compte de sa foi. Il faisait uniquement de la science, et il raisonnait dans son monde scientifique, à lui, et dans sa façon de faire. Et il basculait, comme ça, d'un monde à l'autre, ce qui est quand même intéressant. Petit point qui est aussi à savoir - j'ai parlé du judaïsme et du christianisme- mais pour l'islam, au début, au VIIᵉ ou VIIIᵉ siècle, il y avait énormément de savants qui étaient très croyants. Et d'ailleurs, c'est comme ça que les savoirs sont revenus en Europe puisqu'ils étaient à Constantine, Byzance, etc, les livres ont été conservés et après, ils ont transité vers l'Europe au cours du Moyen Âge, à travers des savants Arabes. Et donc il y a eu une énorme recherche d'avancées, de synthèse pendant les tout débuts de l'islam, ce qui prouve bien que l'opposition, religion/science, c'est quelque chose qui n'a pas toujours été le même au cours de l'histoire.
Léa Minod : Publié 2 ans avant sa mort en France "Et Dieu dit que Darwin soit" fait figure de manifeste de la réconciliation entre la science et la religion pour Stephen Jay Gould. Aussi, s'il y a deux camps dans cette affaire, ce ne sont pas nécessairement ceux de la science et de la religion, mais peut-être celui des partisans du NOMA et celui de ceux qui s'y opposent.
Voix off : Merci à Tanguy Schindler et au reste de l'équipe des médiateurs et médiatrice du Palais de la Découverte ainsi qu'au public.
Lecture en direct : Audrey Stupovski.
Une interview signée Léa Minod. Sound design et réalisation Bertrand Chaumeton. « Sciences Lues » est une série de podcasts originaux réalisée par Écran Sonore et produite par Universcience.
Retrouvez « Sciences Lues » sur toutes les plateformes de podcasts ainsi que sur le site palais-decouverte.fr.
Stephen Jay Gould, né le 10 septembre et mort en 2002, est un paléontologue spécialiste de l’évolution. Il est connu par le grand public pour ses ouvrages de vulgarisation tel que « Le Pouce du panda » ou « Le Sourire du flamant rose ». Au cours de sa carrière il s’est fortement opposé au mouvement créationniste aux États-Unis et a lutté contre la théorie de « l’intelligence design ou dessin intelligent » qu’il qualifiait de pseudo-science.
Depuis sa formulation par Darwin au XIXe siècle, la théorie de l’évolution a été fortement décriée par le monde religieux. Aux États-Unis ces dernières années, créationnistes et évolutionnistes se livrent un long combat acharné. Dans son ouvrage « Et Dieu dit : "Que Darwin soit !" », paru en 1999, Stephen Jay Gould nous présente sa théorie du non recouvrement des magistères ou Non-Overlapping Magisteria (NOMA) qui selon lui, pourrait ramener la paix entre la religion et la science. Dans cette théorie, il nous invite à considérer que la science et la religion posent des regards disjoints sur le monde et qu’en aucun cas l’une ne peut expliquer l’autre. Même si certains biologistes plus radicaux comme Richard Dawkings y voient une forme de lâcheté. Mais écoutons plutôt ce que Stephen Jay Gould a à nous dire.
Je ne vois pas comment l’on pourrait unifier ou seulement synthétiser science et religion en un projet commun d’explication ou d’analyse ; mais je ne comprends pas non plus pourquoi ces deux entreprises devraient se trouver en conflit. La science s’efforce de rendre compte des faits du monde naturel et de construire des théories pour les relier et les expliquer. La religion, quant à elle, s’occupe d’un domaine non moins important mais totalement différent, celui de nos buts, options et valeurs – questions que le point de vue scientifique peut sans doute éclairer, mais en aucun cas résoudre. En particulier, s’il est certain que les scientifiques doivent respecter des principes éthiques, dont certains liés à leur domaine particulier, la validité de ces principes ne saurait être déduite de leurs découvertes factuelles. Je propose de résumer ce principe majeur de respect mutuel sans interférence – qui n’exclut pas un intensif dialogue entre les deux secteurs, chacun s’occupant d’une facette essentielle de l’existence humaine – en énonçant le principe de NOMA, NOn- empiètement des MAgistères. J’espère que mes collègues catholiques ne m’en voudront pas de faire mien ce terme tiré de leur discours, puisqu’un magistère (du latin magister, c’est-à-dire « enseignant ») n’est pas autre chose qu’un domaine de compétence. Le mot « magistère » est certes un peu inusité, mais je le trouve si joliment approprié au dessein de ce livre que je me risque à infliger cette nouveauté au vocabulaire de nombre de lecteurs. Cette requête d’indulgence et de sacrifice se double d’une exigence : veuillez bien ne pas inclure le terme « magistère » dans une série presque homonyme, à la signification toute différente. « Majesté », « majestueux », etc., ont une tout autre connotation ; la confusion est fréquente, du fait que le catholicisme est également fort diligent en ce domaine. Ces mots ont une autre origine : majestas (mot lui-même dérivé de magnus, c’est-à-dire « grand »), qui implique domination et obéissance inconditionnelle. Bien différemment, un magistère est un domaine où une certaine forme d’enseignement détient les outils appropriés pour tenir un discours valable et apporter des solutions. Autrement dit, dans le cadre d’un magistère, on débat, on dialogue, tandis que face à la majesté s’imposent la révérence silencieuse et la soumission. Pour résumer, quitte à me répéter un peu, la nasse de la science, son magistère, concerne le domaine empirique : en quoi consiste l’Univers (les faits) et pourquoi il fonctionne ainsi (la théorie). Le magistère de la religion s’attache, lui, aux significations ultimes et aux valeurs morales. Ces deux magistères n’empiètent pas l’un sur l’autre. Par ailleurs, ils ne recouvrent pas toutes les sortes de recherche – que l’on songe notamment au magistère de l’art, au sens de la beauté. Pour reprendre des lieux communs, la science s’intéresse à l’âge des rocs, la religion au roc des âges ; la science étudie comment fonctionne le ciel, la religion comment faire pour le gagner.
Je ne vois pas comment l’on pourrait unifier ou seulement synthétiser science et religion en un projet commun d’explication ou d’analyse ; mais je ne comprends pas non plus pourquoi ces deux entreprises devraient se trouver en conflit. La science s’efforce de rendre compte des faits du monde naturel et de construire des théories pour les relier et les expliquer. La religion, quant à elle, s’occupe d’un domaine non moins important mais totalement différent, celui de nos buts, options et valeurs – questions que le point de vue scientifique peut sans doute éclairer, mais en aucun cas résoudre. En particulier, s’il est certain que les scientifiques doivent respecter des principes éthiques, dont certains liés à leur domaine particulier, la validité de ces principes ne saurait être déduite de leurs découvertes factuelles.
Je propose de résumer ce principe majeur de respect mutuel sans interférence – qui n’exclut pas un intensif dialogue entre les deux secteurs, chacun s’occupant d’une facette essentielle de l’existence humaine – en énonçant le principe de NOMA, NOn- empiètement des MAgistères. J’espère que mes collègues catholiques ne m’en voudront pas de faire mien ce terme tiré de leur discours, puisqu’un magistère (du latin magister, c’est-à-dire « enseignant ») n’est pas autre chose qu’un domaine de compétence.
Le mot « magistère » est certes un peu inusité, mais je le trouve si joliment approprié au dessein de ce livre que je me risque à infliger cette nouveauté au vocabulaire de nombre de lecteurs. Cette requête d’indulgence et de sacrifice se double d’une exigence : veuillez bien ne pas inclure le terme « magistère » dans une série presque homonyme, à la signification toute différente. « Majesté », « majestueux », etc., ont une tout autre connotation ; la confusion est fréquente, du fait que le catholicisme est également fort diligent en ce domaine. Ces mots ont une autre origine : majestas (mot lui-même dérivé de magnus, c’est-à-dire « grand »), qui implique domination et obéissance inconditionnelle.
Bien différemment, un magistère est un domaine où une certaine forme d’enseignement détient les outils appropriés pour tenir un discours valable et apporter des solutions. Autrement dit, dans le cadre d’un magistère, on débat, on dialogue, tandis que face à la majesté s’imposent la révérence silencieuse et la soumission.
Pour résumer, quitte à me répéter un peu, la nasse de la science, son magistère, concerne le domaine empirique : en quoi consiste l’Univers (les faits) et pourquoi il fonctionne ainsi (la théorie). Le magistère de la religion s’attache, lui, aux significations ultimes et aux valeurs morales. Ces deux magistères n’empiètent pas l’un sur l’autre. Par ailleurs, ils ne recouvrent pas toutes les sortes de recherche – que l’on songe notamment au magistère de l’art, au sens de la beauté. Pour reprendre des lieux communs, la science s’intéresse à l’âge des rocs, la religion au roc des âges ; la science étudie comment fonctionne le ciel, la religion comment faire pour le gagner.
Philippe Thébaut, astrophysicien, chercheur à l'Observatoire de Paris et médiateur, nous partage la lecture d’un texte extrait de l'ouvrage « De revolutionibus orbium coeletium » de Nicolas Copernic.
Emmanuel Sidot, notre médiateur en physique, nous partage la lecture d’un texte tiré de l'ouvrage "Institution de physique" d'Emilie du Chatelet.
Olivier Coulon, notre médiateur géologue, nous partage la lecture d’un texte de l’œuvre d’Elisée Reclus « Histoire d’une montagne ».
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