Les Étincelles du Palais de la découverte
La médiation scientifique
Découvrez le futur Palais
Olivier Coulon, notre médiateur géologue, nous partage la lecture d’un texte de l’œuvre d’Élisée Reclus « Histoire d’une montagne » et nous transporte entre monts et vallées, au cœur de la formation des paysages montagneux. Une véritable déclaration d'amour au plus profond et au sommet.
Alexandre Héraud (Voix off) Olivier Coulon (Médiateur) Léa Minod (Journaliste) Moise Courilleau (Lecture en direct)
Voix off : Le Palais de la découverte présente “Sciences Lues”, un podcast pour s'immerger dans la culture scientifique, de Démocrite à nos jours.
Episode 1 : “Histoire d'une montagne”, un texte d’Élisée Reclus.
Léa Minod : À quelques mètres du parc André-Citroën, dans le 15ᵉ arrondissement de Paris, d'étranges toitures colorées prennent la forme de flèches et pointent leur nez vers le ciel. C'est là, aux étincelles, que travaille Olivier Coulon en tant que médiateur pendant la rénovation du Palais de la découverte. Géologue effervescent, il transmet depuis 14 ans sa passion aux petits et grands curieux qui poussent la porte du palais de la découverte.
Aujourd'hui, confortablement installé, le public tend l'oreille aux mots d’Élisée Reclus.
Bonjour Olivier.
Olivier Coulon : Bonjour.
Léa Minod : Pour ce premier épisode de “Sciences Lues”, vous avez choisi un texte d'Élisée Reclus qui s'appelle « Histoire d'une montagne ». Est-ce que vous pouvez nous rappeler qui est Élisée Reclus ?
Olivier Coulon : Élisée Reclus est un géographe de la 2ème moitié du XIXᵉ siècle qui, à un moment, a été un petit peu oublié parce que très vite il a associé sa volonté de faire partager la géographie avec ses convictions politiques. Il était d'une tendance libertaire, anarchiste et il a toujours voulu placer l'homme au sein de la géographie, alors que c'est une époque où, apparemment, la géographie et l'histoire se sont séparées.
Cela n’a donc pas été totalement compris à l'époque, pas totalement accepté, mais depuis il a été beaucoup remis en valeur parce qu'il a des textes très intéressants même du point de vue de la géographie et puis on va le voir, aussi au niveau littéraire, j'ai trouvé ça vraiment touchant.
Léa Minod : Comment est-ce qu'on peut allier l'anarchie et la géographie ?
Olivier Coulon : Alors là, je ne me lancerais pas forcément très loin dans ce domaine, mais dans sa vision, il y avait un peu l’idée que les seules lois auxquelles on devait obéir étaient les lois de la nature, entre guillemets. Donc aujourd'hui on pourrait dire, en tordant un peu _ et vraiment, ça se voit dans ses textes _ qu'il avait déjà énormément de convictions qui rejoignent un peu les convictions écologiques actuelles.
C'est à dire qu'il avait déjà repéré les problèmes de l'exploitation sans vergogne du sol, la déforestation… Pour lui l'homme devait toujours s'adapter à la nature et non pas la dominer comme un peu malheureusement cela s'est passé à partir du XXᵉ siècle.
Léa Minod : Pour rappeler les dates, c'est quand Élisée Reclus, c'est la toute fin du XIXᵉ siècle c’est cela ?
Olivier Coulon : Oui, son dernier ouvrage, paru à titre posthume, c'est en 1905. Donc oui il commence à écrire dès 1857.
Léa Minod : On connaît peut-être plus facilement le texte qui s'appelle « Histoire d'un ruisseau », qu'est-ce qui vous a poussé dans ce choix d'histoire d'une montagne ?
Olivier Coulon : « Histoire d'un ruisseau » est un texte extrêmement poétique, très beau. Il y a des principes qu’on peut utiliser en géologie, mais disons que les montagnes, c'est un peu mon dada. La dérive des continents et les montagnes, c'est vraiment ce qui marque le rapprochement, la plupart du temps, de deux continents. C'est toujours une thématique qui m'a passionné en géologie.
Donc quand je suis tombé sur ce texte, il y avait l'émotion par rapport à sa poésie, mais aussi je jubilais parfois en me disant « Ah oui, il y a des notions intéressantes » , vu sous le prisme de l'époque, parce que évidemment, on ne présente plus les choses comme ça aujourd'hui. Et malgré tout, c'est l'histoire des sciences, on sent les prémices : Comment on va récupérer ce qui était déjà connu à l'époque et le réinterpréter différemment.
Léa Minod : Pourquoi la montagne, c'est votre « dada » ?
Olivier Coulon : Déjà, j'adore me promener en montagne, mais pas que. C'est vraiment aussi parce que quand on parle de « dérive des continents », ce n’est pas exactement la même chose que la « tectonique des plaques » mais la tectonique des plaques permet d'expliquer cette valse des continents au cours de l'histoire géologique. L'un des signes les plus marquants, quand deux continents se rencontrent - ils ne se rentrent pas du tout dedans comme un carambolage de voitures, ils étaient séparés par un fond océanique - c'est que leur suture se traduit par une montagne. Qu'elles soient encore aujourd'hui visible ou ancienne, leurs roches nous racontent cette histoire. Donc cela, oui, fait partie des exposés que j'aime beaucoup présenter.
Léa Minod : Olivier, est-ce que Élisée Reclus aurait pu faire cet exposé, lui, à l'époque ? Est-ce qu'il avait les connaissances nécessaires pour notamment parler de la tectonique des plaques ?
Olivier Coulon : La tectonique des plaques ? Non, c'est vraiment un modèle très récent qui date des années 1950. J'ai presque envie de dire que Élisée Reclus c’est un siècle avant. En revanche, on verra que dans le texte, il y a déjà des connaissances géologiques qu'on va pouvoir interpréter assez facilement dans le cadre de la tectonique des plaques, mais à l'époque le cadre était totalement différent. On n'avait pas du tout la même vision. Quand on part de l'observation, forcément on observe les mêmes choses, c'est juste l'interprétation qui n'était pas la même. On manquait de moyens techniques pour avoir des connaissances sur l’intérieur de la terre, etc. Je pense qu’on en reparlera sans doute un petit peu après.
Léa Minod : Et bien justement, on ferme les yeux et on se laisse bercer par les mots d'Élisée Reclus.
Moïse Courilleau :
"Heureusement la terre, toujours en travail de création nouvelle, ne cesse d’agir sous nos yeux et de nous montrer comment elle change peu à peu les rugosités de sa surface. Elle se détruit, mais elle se reconstruit de jour en jour, constamment; elle nivelle ses montagnes, mais pour en édifier d’autres; elle creuse des vallées, mais pour les combler encore. En parcourant la surface du globe et en observant avec soin les phénomènes de la nature, on peut donc voir se former des coteaux et des monts, lentement, il est vrai, et non pas d'une soudaine poussée, comme le demanderaient des amis du miracle. On les voit naitre, soit directement du sein de la terre, soit indirectement, pour ainsi dire, par l’érosion des plateaux, de même qu’une statue apparait peu à peu dans un bloc de marbre. Lorsqu’une masse insulaire ou continentale, haute de centaines ou de milliers de mètres, reçoit des pluies en abondance, ses versants sont graduellement sculptés en ravins, en vallons, en vallées; la surface uniforme du plateau se découpe en cimes, en arêtes, en pyramides, se creuse en cirques, en bassins, en précipices; des systèmes de montagnes apparaissent peu à peu là où le sol uni se déroulait sur d’énormes étendues. II] est même des régions de la terre où le plateau, attaqué par des pluies sur un seul côté, ne s’échancre en montagnes que par ce versant: telle est, en Espagne, cette terrasse de la Manche qui s’affaisse vers |’Andalousie par les escarpements de la sierra Morena. En outre de ces causes extérieures qui changent les plateaux en montagnes, s'accomplissent aussi dans l’intérieur de la terre de lentes transformations qui ont pour conséquence d’énormes effondrements. Les hommes laborieux qui, le marteau a la main, cheminent pendant des années entières à travers les monts pour en étudier la forme et la structure, remarquent, dans les nouvelles assises de formation marine qui constituent la partie non cristalline des monts, de gigantesques failles ou fissures de séparation qui s’étendent sur des centaines de kilomètres de longueur. Des masses, ayant des milliers de mètres d’épaisseur, se sont redressées dans ces chutes ou même ont été complètement renversées, de sorte que leur ancienne surface est devenue maintenant le plan inférieur. Les assises, en s’affaissant par chutes successives, ont dénudé le squelette de roches cristallines qu’elles entouraient comme un manteau; elles ont révélé le noyau de la montagne comme une draperie retirée soudain découvre un monument caché."
"Heureusement la terre, toujours en travail de création nouvelle, ne cesse d’agir sous nos yeux et de nous montrer comment elle change peu à peu les rugosités de sa surface. Elle se détruit, mais elle se reconstruit de jour en jour, constamment; elle nivelle ses montagnes, mais pour en édifier d’autres; elle creuse des vallées, mais pour les combler encore. En parcourant la surface du globe et en observant avec soin les phénomènes de la nature, on peut donc voir se former des coteaux et des monts, lentement, il est vrai, et non pas d'une soudaine poussée, comme le demanderaient des amis du miracle. On les voit naitre, soit directement du sein de la terre, soit indirectement, pour ainsi dire, par l’érosion des plateaux, de même qu’une statue apparait peu à peu dans un bloc de marbre. Lorsqu’une masse insulaire ou continentale, haute de centaines ou de milliers de mètres, reçoit des pluies en abondance, ses versants sont graduellement sculptés en ravins, en vallons, en vallées; la surface uniforme du plateau se découpe en cimes, en arêtes, en pyramides, se creuse en cirques, en bassins, en précipices; des systèmes de montagnes apparaissent peu à peu là où le sol uni se déroulait sur d’énormes étendues. II] est même des régions de la terre où le plateau, attaqué par des pluies sur un seul côté, ne s’échancre en montagnes que par ce versant: telle est, en Espagne, cette terrasse de la Manche qui s’affaisse vers |’Andalousie par les escarpements de la sierra Morena.
En outre de ces causes extérieures qui changent les plateaux en montagnes, s'accomplissent aussi dans l’intérieur de la terre de lentes transformations qui ont pour conséquence d’énormes effondrements. Les hommes laborieux qui, le marteau a la main, cheminent pendant des années entières à travers les monts pour en étudier la forme et la structure, remarquent, dans les nouvelles assises de formation marine qui constituent la partie non cristalline des monts, de gigantesques failles ou fissures de séparation qui s’étendent sur des centaines de kilomètres de longueur. Des masses, ayant des milliers de mètres d’épaisseur, se sont redressées dans ces chutes ou même ont été complètement renversées, de sorte que leur ancienne surface est devenue maintenant le plan inférieur. Les assises, en s’affaissant par chutes successives, ont dénudé le squelette de roches cristallines qu’elles entouraient comme un manteau; elles ont révélé le noyau de la montagne comme une draperie retirée soudain découvre un monument caché."
Léa Minod : Donc c'était la première partie du texte que vous avez choisi Olivier. C'est vrai qu'on entend à plusieurs reprises qu'il se place comme spectateur. Il dit « On voit, on voit » comme si c'était lui-même qui se déplaçait dans la montagne, qui arpentait la montagne et qui observait ces mouvements infimes de la montagne. Qu'est-ce que ça dit de sa vision de l’homme dans la nature, ça ?
Olivier Coulon : Disons que, de ce que j'en sais, il a commencé par beaucoup voyager, énormément en Europe, mais aussi en Amérique, Amérique du Nord, Amérique du Sud. Donc à chaque fois, il part vraiment de l'observation. Et effectivement, on ne peut pas voir se fabriquer une montagne. Il le dit d'ailleurs, c'est beaucoup trop lent. Même une vie humaine ne suffirait pas pour voir émerger des monts, mais ce qu'il a tout de suite repéré, c'est que l'érosion sculpte des reliefs. Aujourd'hui, on associerait pas du tout la montagne à ce principe d'érosion, parce que si on est dans le cas de la tectonique des plaques, on va assimiler la montagne à une zone de convergence de plaques, c’est à dire des plaques qui se rapprochent, alors que les bassins se forment quand les plaques s'écartent.
Bon, cela à l'époque, il ne le connaît pas. Mais ce qui, moi, me plaît beaucoup c'est que malgré tout, on le sent, il fait la distinction entre le relief sculpté par l'érosion _ il écrit « des ravins qui vont peu à peu se creuser sur un plateau » _ et (sur la dernière partie) un tout autre phénomène où il repère des grandes failles, des grandes cassures.
Là, il y a cette idée de dévoilement d'un cœur interne qui correspond vraiment à la vision actuelle des montagnes. Vous avez des énormes écailles de roches qui vont être empilées, entassées les unes sur les autres et peu à peu se décaler et remonter, donc on voit le cœur caché qui peu à peu est mis à nu. Sans le présenter tel qu'on le fait aujourd'hui, il a déjà repéré quand même le fait que soit on voit des sédiments - c'est les roches vraiment de surface qui étaient jadis déposés sous la mer qui peu à peu sont creusées par les rivières, par l'érosion - soit on voit d'autres roches plus profondes. Aujourd'hui, et je pense que déjà à l'époque, on appelle cela « le socle cristallin », ce sont des roches de type granite, pleines de cristaux qui ne sont pas du tout comme les roches des plateaux qui seraient des argiles, des calcaires, qu'on appelle la « couverture sédimentaire ». C'est amusant d'ailleurs qu'on ait pris ce terme de « couverture » puisque lui-même explique qu'il y a un dévoilement comme des étoffes, comme si on dénudait ce fameux socle qui est situé en dessous. Or, à cette époque-là, on pensait qu'il y avait des forces de poussées par en dessous qui faisaient remonter ce socle. Aujourd'hui, on parle plutôt d'écailles qui glissent les unes latéralement par rapport aux autres. C'est donc une toute autre vision. C'est ça qui, d'un point de vue purement scientifique, un peu « Histoire des sciences », me plaît beaucoup ! C'est de se dire « Ah oui, ils avaient repéré certains éléments, ils interprétaient autrement, il leur manquait quelques infos pour aller jusqu'au bout. On a en germe peu à peu tout ce qui va être réassemblé avec le modèle de la tectonique des plaques. Ce que j'aime justement là-dedans, c'est bien faire comprendre qu'une théorie scientifique, elle ne naît pas d'un coup comme ça. Il n'y a pas une espèce de génie qui dirait d'un coup “j’ai eu une idée, il y aurait des plaques tectoniques”, c'est pas du tout ça ! On voit que peu à peu on va construire, établir des connaissances et à un moment on se dit que notre modèle actuel n'explique pas tout, il ne marche pas bien. Donc, peu à peu, ça va pousser à essayer de comprendre, mener d'autres recherches, d'autres investigations pour arriver à un modèle qui, aujourd'hui, est plus satisfaisant sur bien des points. Maintenant, il y a peut-être à nouveau des points qui seront à éclaircir ou à affiner dans le futur.
Léa Minod : C'est à dire qu’il passe d’abord par l'observation en fait, c'est ça ? Une théorie ne naît pas comme ça ! Ça prend énormément de temps.
Olivier Coulon : Oui, tout à fait. En plus, Élisée Reclus n'est pas spécifiquement géologue mais c'est un géographe qui s'intéresse à tout. On voit là aussi qu'il s'intéresse à la géologie. Je pense que les géographes s'y intéressaient toujours un peu, mais l'aspect descriptif qu'il a est vraiment celui d'un géologue. D'ailleurs, il parle des hommes « le marteau à la main ».
Léa Minod : Oui, c'est ça, dans cette phrase, « les hommes qui, le marteau à la main, cheminent pendant des années entières à travers les monts »... Est-ce qu'il parle de lui quand il dit ça ?
Olivier Coulon : Ah ça, je ne sais pas. On peut imaginer. Peut-être qu’il en avait. En tout cas un géologue se reconnaît très bien dans l'image du marteau de géologue. Pour nous, c'est le premier instrument qu'on utilise. A l'heure actuelle, beaucoup moins. On peut travailler beaucoup avec des ordinateurs, des modélisations, etc. mais en tout cas, moi, quand j'ai commencé la géologie, j'étais tout fier quand j'ai eu mon premier marteau de géologue.
Ils ont un look de piolets, parce qu'on a besoin d'aller casser la roche pour voir à l'intérieur, pour observer une cassure nette et essayer de comprendre ce qu'on observe. Donc c'est un peu comme les gens qui allaient ramasser des cristaux. Ça peut commencer comme cela, la géologie. Au début, on casse pour ramasser quelque chose qui est joli, puis après on commence, justement par le biais de l’observation, à se dire : « Mais pourquoi il y a des cristaux dans telle fissure et pas là ? etc ». Et le fait de repérer que dans la croûte terrestre les roches cristallines ne sont pas partout, tout le temps, c'est sans doute pour cela qu’on a commencé à comprendre qu'il y avait un socle et au-dessus se déposaient les sédiments.
Et cela reste évidemment toujours totalement valable. L'idée est que, simplement, ce qu'on appelle une plaque tectonique contient toutes ces roches, mais pas seulement, ce n'est pas une nature de roches qui définit ce qu'est une plaque, en fait. Donc on est passé à un tout autre niveau d'interprétation.
Léa Minod : On continue justement l'interprétation du texte. La deuxième partie du texte que vous avez choisi :
Moïse Courrilleau :
« Mais les écroulements eux-mêmes ont eu moins d’importance que les plissements dans l’histoire de la terre et dans celle des montagnes qui en forment les rugosités extérieures. Soumises à de lentes pressions séculaires, la roche, l’argile, les couches de grés, les veines de métal, tout se plisse comme le ferait une étoffe, et les plis qui naissent ainsi forment les monts et les vallées. Semblable à la surface de l’Océan, celle de la terre s’agite en vagues mais ces ondulations sont bien autrement puissantes: ce sont les Andes, c’est l’Himalaya, qui se redressent ainsi au-dessus du niveau moyen des plaines. Sans cesse les roches de la terre se trouvent soumises à ces impulsions latérales qui les ploient et les reploient diversement, et les assises sont dans une fluctuation continuelle. C’est ainsi que se ride la peau d’un fruit. Les cimes qui surgissent directement du sol et qui montent graduellement du niveau de l’Océan vers les hauteurs glacées de l‘atmosphère sont les montagnes de laves et des cendres volcaniques. En maints endroits de la surface terrestre, on peut les étudier à l’aise, s'élevant, grandissant a vue d’œil. Bien différents des montagnes ordinaires, les volcans proprement dits sont percés d’une cheminée centrale par laquelle s'échappent des vapeurs et les fragments pulvérisés de roches incendiées; mais, quand ils s’éteignent, la cheminée se ferme, et les pentes du cône volcanique, dont le profil perd de sa régularité première sous l’influence des pluies et de la végétation, finissent par ressembler 4 celles des autres monts. D’ailleurs, il est des masses rocheuses qui, en s'élevant du sein de la terre, soit à l'état liquide, soit à l'état piteux, sortent tout simplement d’une longue crevasse du sol et ne sont point lancées par un cratère, comme les scories du Vésuve et de l’Etna. Les laves qui s’accumulent en sommets et se ramifient en promontoires ne diffèrent que par leur jeunesse de ces vieilles montagnes chenues qui hérissent ailleurs la surface de la terre. Les laves jadis brillantes se refroidissent peu à peu; elles se délitent extérieurement et se revêtent de terre végétale; elles reçoivent l’eau de pluie dans leurs interstices et la rendent en ruisselets et en rivières; enfin elles se recouvrent à leur base de formations géologiques nouvelles et s’entourent, comme les autres montagnes, d’assises de galets, de sable ou d'argile. A la longue, le regard du savant peut seul reconnaitre qu’elles ont jailli du sein de la grande fournaise, la terre, comme une masse de métal en fusion. »
« Mais les écroulements eux-mêmes ont eu moins d’importance que les plissements dans l’histoire de la terre et dans celle des montagnes qui en forment les rugosités extérieures.
Soumises à de lentes pressions séculaires, la roche, l’argile, les couches de grés, les veines de métal, tout se plisse comme le ferait une étoffe, et les plis qui naissent ainsi forment les monts et les vallées. Semblable à la surface de l’Océan, celle de la terre s’agite en vagues mais ces ondulations sont bien autrement puissantes: ce sont les Andes, c’est l’Himalaya, qui se redressent ainsi au-dessus du niveau moyen des plaines. Sans cesse les roches de la terre se trouvent soumises à ces impulsions latérales qui les ploient et les reploient diversement, et les assises sont dans une fluctuation continuelle. C’est ainsi que se ride la peau d’un fruit.
Les cimes qui surgissent directement du sol et qui montent graduellement du niveau de l’Océan vers les hauteurs glacées de l‘atmosphère sont les montagnes de laves et des cendres volcaniques. En maints endroits de la surface terrestre, on peut les étudier à l’aise, s'élevant, grandissant a vue d’œil. Bien différents des montagnes ordinaires, les volcans proprement dits sont percés d’une cheminée centrale par laquelle s'échappent des vapeurs et les fragments pulvérisés de roches incendiées; mais, quand ils s’éteignent, la cheminée se ferme, et les pentes du cône volcanique, dont le profil perd de sa régularité première sous l’influence des pluies et de la végétation, finissent par ressembler 4 celles des autres monts. D’ailleurs, il est des masses rocheuses qui, en s'élevant du sein de la terre, soit à l'état liquide, soit à l'état piteux, sortent tout simplement d’une longue crevasse du sol et ne sont point lancées par un cratère, comme les scories du Vésuve et de l’Etna. Les laves qui s’accumulent en sommets et se ramifient en promontoires ne diffèrent que par leur jeunesse de ces vieilles montagnes chenues qui hérissent ailleurs la surface de la terre. Les laves jadis brillantes se refroidissent peu à peu; elles se délitent extérieurement et se revêtent de terre végétale; elles reçoivent l’eau de pluie dans leurs interstices et la rendent en ruisselets et en rivières; enfin elles se recouvrent à leur base de formations géologiques nouvelles et s’entourent, comme les autres montagnes, d’assises de galets, de sable ou d'argile. A la longue, le regard du savant peut seul reconnaitre qu’elles ont jailli du sein de la grande fournaise, la terre, comme une masse de métal en fusion. »
Lea Minod : Alors on parlait de l'étoffe tout à l’heure. Là encore, il y a beaucoup de métaphores qui sont liées au tissu et qui expliquent les plissements de la terre.
Olivier Coulon : On retrouve ce qu'on avait évoqué sur cette notion de plissement. Cela se voit des fois, il suffit de se promener dans énormément de massifs montagneux, au moins actuels, pour avoir des roches complètement tordues en accordéon. Donc ça, c’est l’observation et c'est génial parce qu'on sent le mouvement.
Si je parle d'accordéon, on a vraiment envie de pousser avec nos mains de chaque côté, et on comprend bien que pour obtenir des plissements, il faut des forces latérales... Et pourtant après _ et c'est vraiment l'interprétation de l'époque, c'est ça qui est très marquant _ il va évoquer le fruit qui se ride. L'idée, c'était celle de la terre refroidie et qui se fripe. Elle se ride comme un fruit. C’est pour cela qu'il y a ces petits monts et ces petites vallées qui se forment. Aujourd'hui on sait que ce n’est absolument pas comme cela qu'il faut voir les choses, que c'est justement la notion de plaques tectoniques, qu'il y a des kilomètres de roches, de masse rocheuse qui se déplacent latéralement.
Mais il y avait déjà cette compréhension de mouvements particuliers. Et ce qui est très beau, c'est qu’il va relier cela aux vagues de la mer. Et puis dans toute cette partie, on revient sur l'érosion. Il y a cette notion de cycle permanent qui est très belle. Et après, il rajoute les volcans.
A nouveau, je le redis, l'interprétation n’est plus du tout comme ça aujourd'hui ! Aujourd'hui, pour nous, un volcan n'est pas forcément une montagne, et même plutôt non, c'est un relief, mais pas une montagne. Cela ne se fait pas dans le même contexte. Même s’il ne le dit pas comme ça, il fait tout de même la différence entre les reliefs volcaniques et les reliefs de montagnes. Donc c'est pour cela que moi _ après c'est vraiment personnel _ je jubile en disant « ah s’il savait ».
Je sais qu'Élisée Reclus est allé en Amérique du Sud et typiquement les volcans d'Amérique du Sud sont liés à une zone ou des plaques rentrent en contact, il y en a une qui plonge sous l'autre et cela peut provoquer un volcanisme explosif. Alors que les volcans qu’il évoque quand il parle de l'Etna, quoique encore l’Etna c'est particulier, se forment différemment, vraiment tranquillement avec des coulées de lave. Et il le dit, « Vous avez des fissures, de la lave qui sort, vous avez le volcan qui fait vraiment un énorme cône » et il relie tout cela à nouveau à l'érosion qui va le transformer.
Et en même temps, comme on ne retrouve pas les fameuses roches cristallines dont on parlait tout à l'heure, il le dit bien, ces volcans sont différents des vieilles montagnes chenues, il ajoute même une notion d'âge. Il explique bien qu'un volcan qui, finalement, a un relief encore imposant a priori, est relativement jeune géologiquement, alors qu'il y a des chaînes de montagnes qu’à la limite on ne voit plus.
Le Massif armoricain, il ne s'appelle pas massif pour rien, c'est en Bretagne, cela me paraît pour moi plutôt plat. Et pourtant, les roches nous disent qu’il y a 300 millions d'années, c'étaient d'immenses chaînes de montagnes, qui sont aussi en Belgique, à priori là le vrai plat pays. C'est ça que j'aime bien, c'est repérer. À chaque fois, il y a des petits indices d'observation. Et je l'aurais lu à l'époque, je pense que je l'aurai interprété comme lui, mais avec les connaissances nouvelles on se dit « Ah oui, voilà, tout était là ». Il manquait juste deux ou trois petites choses pour arriver à ce qu'on décrit aujourd'hui.
Léa Minod : Et le fait de ne pas avoir ces connaissances scientifiques ou en tout cas peut-être le vocabulaire, est ce que c'est cela qui fait qu'il recourt à la poésie pour s'exprimer ?
Olivier Coulon : Je ne saurais pas dire. Après c'est l'époque. J'avais lu aussi des textes de Camille Flammarion qui étaient plutôt sur l'astronomie. À l'époque les scientifiques ont vraiment, je pense aussi, de par leur formation, une formation assez littéraire d'écriture. Alors loin de moi l'idée de dire qu'aujourd'hui il n'y a pas de scientifique qui écrivent bien, ce n’est sûrement pas le cas. D'ailleurs, j'ai lu des ouvrages scientifiques contemporains où il y a un vrai plaisir de lecture. Mais effectivement, peut-être qu'à un moment le langage scientifique, pour être rigoureux, s'est un peu asséché de ce côté-là. Ce qui est merveilleux dans les textes de Reclus ou même de Camille Flammarion, c'est qu’on sent une poésie, cela leur est naturel et je pense vraiment que cela nous emporte plus. Je trouve que c'est aussi dans notre métier de médiateur scientifique, cette idée de transmettre sans être ennuyeux ou trop incompréhensible. Ce qui est beau, c'est qu'on est emporté. Les mots sont assez simples pour qu'on comprenne à peu près le phénomène.
Lea Minod : En tous cas pour qu'on ait des images, ça c'est sûr. C'est ce que son langage permet.
Olivier Coulon : Oui, tout à fait. Et donc il recourt à quelque chose de facile à visualiser. Et puis oui, je ne sais pas ce qui fait son talent mais c'est vrai que, vous l’évoquiez au début, quand on lit “l'histoire d'une rivière”, on est embarqués dans des promenades. Je pense, oui, que c'était lié aussi à son caractère.
Il voulait absolument transmettre. Il est vraiment dans l'éducation populaire qui cherche à avoir un langage simple. Mais en plus, c'est vrai qu'il a un réel talent de poésie parfois.
Lea Minod : Donc, quand vous fermez les yeux et que vous entendez ce texte, vous avez l'impression de vous balader avec lui dans les paysages qu'il décrit.
Olivier Coulon : Presque oui, je n'ai pas eu la chance d'aller dans les Andes, contrairement à lui, mais on s'y croit un peu, oui.
Lea Minod : Élisée Reclus, on connaît son mon mais le grand public ne le connait pas forcément, pourquoi est-ce que c’était important pour vous de faire entendre ses mots ?
Olivier Coulon : Et bien c’est vraiment à cause de ce qu’on était en train d'évoquer, la langue m'a touché. J'ai lu il n'y a pas si longtemps ce texte-là, et quand on a évoqué ce projet de podcast, j'ai immédiatement pensé à lui. Vous l'avez dit, peut-être parce que j'ai un petit tropisme pour la description de la tectonique et de la formation des chaînes de montagnes.
Mais pas seulement. Je me suis vraiment dit « voilà typiquement un texte scientifique qui n'est pas rébarbatif et qui peut nous séduire avec les mots avant même de chercher à comprendre la science derrière", si j'ose dire.
Lea Minod : Et une chose que vous avez envie de retenir de ce texte ?
Olivier Coulon : Une chose, c'est dur. Ce qui me frappe et qui est peut-être un peu au fondement de toutes les interprétations de l'époque et qu’il évoque juste à la fin, c’est que pour expliquer tous ces phénomènes, on recourait facilement à l'idée que l’intérieur de la terre était énormément rempli de magma, était complètement fondu. On rencontre encore cette vision en exposé _ alors lui, il parle carrément de métal en fusion. Or aujourd'hui, on sait qu'il y a du métal fondu dans une partie du noyau terrestre, mais que, globalement, la terre est solide. Et ce qui me frappe c’est qu’en fait il leur manquait cette connaissance pour peut-être interpréter les choses autrement.
Lea Minod : Il leur manquait la source en fait c’est ça ?
Olivier Coulon : Oui voilà, la source de ces connaissances de la terre interne. Et pour cause, on ne sait pas y aller directement. A l'époque, il n’y avait absolument pas les moyens techniques de pouvoir investiguer à l'intérieur de la terre. Aujourd'hui, ce sont les ondes produites par les tremblements de terre qui nous donnent une sorte d'échographie de l’intérieur de la terre. On n’y va toujours pas directement. C'est impossible. Il y a une trop forte pression, une trop forte chaleur. Mais ce qui me frappe, c'est cela, c'est cette idée. On imaginait le magma, donc ça poussait, ça montait, ça se ridait… Alors qu'aujourd'hui on sait que ce n'est pas cela. Il y a des roches qui se déforment lentement à l'état solide, il y a une petite coquille comme une coquille d'œuf (on imagine un oeuf dur, l'œuf du picnic), du solide qui se déforme mais qui n'est pas cassant et une coquille cassante, c'est cela qu'on va appeler des plaques. On parle de plaques lithosphériques, ce sont des mots un peu barbares et c'est pour cela que ça va se déplacer. Cette coquille va être fracturée par les mouvements très lents de la roche en dessous. Et finalement, cette connaissance qui commençait à émerger au début du XXᵉ siècle, c'était déjà un premier pas pour aller vers une vision scientifique plus moderne, je dirais.
Lea Minod : Merci beaucoup.
Olivier Coulon : Mais merci à vous.
Lea Minod : Voilà, donc nous avons quand même déjà échangé pas mal avec Olivier Coulon. Est-ce que vous avez des questions à poser dans le public ? Si vous en avez, n'hésitez pas.
Question public 1 : Bonjour. Alors ce n'est pas forcément une question, mais c'est plus une remarque. Ce qui m'a frappé, c'est que dans plein de domaines de l'activité humaine, la montagne c'est le symbole de l'immuable. Et là, c'est une vision qui est extrêmement dynamique. Et je me demandais si le travail du géologue n’était pas un peu ça, de voir le mouvement dans ce qui est considéré habituellement comme quelque chose qui ne bouge pas, ce passage et est-ce que la géologie fonctionnait forcément comme ça et dans cette vision-là ?
Lea Minod : Merci.
Olivier Coulon : Je pense qu'il y a eu un moment où il n'y avait pas de dynamisme dans l'étude de la géologie où au départ, si on reste dans la vision très naturaliste, ça va être de repérer les différentes formes de roches, les décrire. C'est d'ailleurs comme ça qu'on a appris la géologie et ce n’est sûrement pas grâce à ça que je suis devenu géologue parce que moi-même, je ne voyais pas l'intérêt d'apprendre à reconnaître les cailloux, les minéraux, juste comme ça pour dire c'est un granit…
Mais effectivement, cela me permet de mettre des mots, peut-être sur des choses qu'on a évoqué dans notre conversation. C'est que lui, vous avez totalement raison, il a vraiment une vision dynamique. On a l'impression d'y être, comme on l'a dit, jamais on ne verra se fabriquer la montagne, or lui, il la fabrique presque sous nos yeux. Et ça, effectivement, c'est très plaisant et je ne suis pas certain que cela a toujours été le cas à l'époque. Mais c'est sans doute ce qui fait aussi le charme, la puissance de son écriture. Ce que je sais, c'est que par la suite, en géographie justement, ils ont un peu oublié Élisée Reclus. Déjà parce qu'il était trop engagé, pour les scientifiques qui disaient « non, non, pas de politique », il mettait trop l'homme au centre, etc… et pour ses visions libertaires.
Mais il y a aussi la géographie qui est devenue peu à peu purement descriptive. Alors que lui, oui, on a l'impression qu'il va embrasser tout ce qu'il observe. Et oui, c'est très juste. Il y a vraiment une vision… et c'est sans doute pour cela qu'on est emporté dans la lecture.
Question Public 2 : On a parlé de la poésie, de la littérature comme façon de faire passer la connaissance. Est-ce que, en tant que scientifique, la poésie, la rêverie peuvent être un outil pour comprendre ou pour envisager les choses d'une nouvelle façon aussi ?
Olivier Coulon : Moi, je le crois. Après, je ne sais pas si tout le monde serait d'accord, mais oui, pour moi, c'est important parce qu'effectivement, on l'a dit, il n'y a pas le génie qui a eu l'étincelle « Eurêka ! J'ai trouvé », généralement non… Ce sont des constructions longues et avec plusieurs scientifiques. Mais en revanche, effectivement, ce qui est amusant par rapport au modèle de la tectonique des plaques, c’est qu’il a été élaboré progressivement et le mot va finalement sortir dans un article des années 1950 et c'est pour cela qu'on fait naître cette théorie à ce moment-là. Mais en réalité, c'était déjà en construction. Et l'un des artisans, je crois que c'est McKenzie, un Américain, au début, quand il commence à proposer ses premières idées, il parle de « géo-poétique », c’est à dire que lui-même sait que ses collègues risquent de lui rire au nez. Mais en fait, l'air de rien, il avait une intuition. Alors bon, ce n’est peut-être pas par la poésie qu'il y est arrivé, mais il l'avait présenté comme de la géo-poétique. On sent que pour lui, ce n'est pas une manière de dénigrer son travail. C'est à dire que la poésie, c'est pas « ah non, les scientifiques n'en veulent pas », mais c'est pour dire « Pour l'instant, sans doute, je n'ai pas encore les moyens techniques, scientifiques rigoureux d'étayer mon intuition »… Et j'aime beaucoup ça moi. Après, je n'ai pas élaboré de théories scientifiques, (rire) ! Je n’en suis pas là ou je n’en suis plus là.
Mais dans tous les cas oui, pour transmettre je pense que c'est intéressant déjà, sans doute que à un moment, il faut être capable de rêver ou d'imaginer, parce que finalement on amasse une grande quantité de connaissances et qu’on est peut-être des fois un peu pris dans le carcan de ces connaissances, dans un modèle qu'on a beaucoup travaillé, qui est établi… et donc peut être que c'est un moyen de temps en temps d'en sortir, pour peu qu'on ait repéré des points où on se dit que là, ça reste à éclaircir.
Et peut-être qu'effectivement ce passage par une sorte de poésie amène l'intuition. Après, les scientifiques voudront de la rigueur pour tester ou valider des propositions, et je pense que oui il faudra la valider. Mais comme dans une création en tant que telle, cela reste quelque chose qui peut être utile. En tout cas, j'aime bien l'idée que certains sont passés plus ou moins par là.
Question public 3 : Je voulais savoir à qui était destiné le texte initialement, s'il s'adressait à d'autres professionnels ou s'il s'adressait plutôt au grand public ? Et quel a été l'accueil au moment il a été publié ?
Olivier Coulon : Question piège pour la dernière question, je ne suis pas assez historien des sciences. Mais ce que je sais d'Élisée Reclus, c'est qu'il veut s'adresser au grand public. Donc ça, c'est clair, il ne s'adresse pas spécifiquement à ses pairs. Et de ce que je sais, beaucoup de ses gros ouvrages étaient publiés par cycles en volume et qu'il a vraiment beaucoup écrit pour des journaux. Donc il veut vraiment s'adresser à un public le moins scientifique possible, si j'ose dire. Après, je sais qu'il a été convié à l'Université Libre de Bruxelles pour faire des enseignements, des présentations. C'est vraiment « l'université populaire ». C'est vraiment l'idée de transmettre les connaissances scientifiques pour que tout le monde puisse y avoir accès.
En revanche, l'accueil, je sais qu’il était quand même bien publié, et qu’il avait une certaine renommée à l'époque, mais je ne sais pas exactement après ce qu'il en est… Surtout pour « Histoire d'une montagne » c'est un petit texte à part qui ne fait pas partie de ces « ouvrages somme » où vraiment il veut faire une énorme synthèse de toute la géographie.
Donc là, il faudrait creuser pour savoir où et dans quel cadre il a été publié. En tout cas, oui, il avait une certaine renommée. J'ai découvert qu'il intervenait comme personnage dans certains romans de Jules Verne, « Les voyages extraordinaires », en tant que Élisée Reclus, et apparemment aussi dans d'autres livres de l'époque, pas sous son nom, mais il a servi de modèle pour des scientifiques de fiction. Cela montre quand même qu’il avait une renommée assez importante alors qu'il y a eu beaucoup de soubresauts dans sa vie.
Il y a eu un moment où il était en prison, il avait participé à la Commune de Paris. Cela n'a pas toujours été simple. C'est par la suite qu'il a un peu disparu. Depuis, il est à nouveau quand même bien mis en valeur. Mais il y a eu une sorte de période où on l'a un peu ignoré. A l'époque, je pense que ce n’était pas un inconnu.
Léa Minod : Histoire d'une montagne, écrit en 1880, demeure l'un des ouvrages principaux à destination du jeune public pour comprendre la formation des paysages montagneux. Une véritable déclaration d'amour au sommet.
Voix off : Merci à Olivier Coulon et au reste de l'équipe des médiateurs et des médiatrices du Palais de la découverte ainsi qu'au public. Lecture en direct : Moise Courilleau.
L'interview est signée Léa Minod.
Sound design et réalisation Bertrand Chaumeton.
« Sciences Lues », une série de podcasts originaux réalisés par Ecran sonore aux Etincelles du Palais de la Découverte et produite par Universcience.
Retrouvez « Sciences Lues » sur toutes les plateformes de podcast ainsi que sur le site palais-decouverte.fr.
Élisée Reclus qui vécut à la toute fin du XIXe siècle est un géographe mais aussi un écrivain engagé. Né dans le Sud-Ouest de la France, il abandonne à la fin de son adolescence des études de théologie et s’engage dans le combat politique. Profondément républicain, socialiste et libre-penseur, il défend l’anarchie telle qu’elle émerge à l’époque : un combat pour une société juste et libre. Après de multiples voyages, guidé par sa sensibilité aux paysages, il se consacre alors pleinement à la géographie : « Je suis heureux quand je parle de géologie, d’histoire, de sciences véritablement utiles, l’idée que peut-être je pourrais devenir professeur de géographie me remplit de joie ».
Cette passion pour la géographie physique (décrire et expliquer le fonctionnement de la Terre) demeure couplée à ses idéaux. Ses ouvrages emblématiques replacent toujours l’Homme dans son milieu et s’interrogent sur les interactions qui se tissent entre eux. Leurs titres parlent d’eux-mêmes : « L’Homme et la nature » (1864), « La Nouvelle Géographie universelle. La Terre et les Hommes » (de 1875 à 1894) et « L’Homme et la Terre » (publié à titre posthume en 1905).
Bien que ses approches physiques, géologiques ou météorologiques reflètent parfois l’état imparfait des connaissances de l’époque, sa plume sensible happe immédiatement le lecteur, ravi de cheminer au fil de ses descriptions poétiques. Quant à sa vision humaniste, elle permet l’émergence de concepts précurseurs de l’écologie politique qui résonnent pleinement avec nos préoccupations actuelles.
Heureusement la terre, toujours en travail de création nouvelle, ne cesse d’agir sous nos yeux et de nous montrer comment elle change peu à peu les rugosités de sa surface. Elle se détruit, mais elle se reconstruit de jour en jour, constamment; elle nivelle ses montagnes, mais pour en édifier d’autres; elle creuse des vallées, mais pour les combler encore. En parcourant la surface du globe et en observant avec soin les phénomènes de la nature, on peut donc voir se former des coteaux et des monts, lentement, il est vrai, et non pas d'une soudaine poussée, comme le demanderaient des amis du miracle. On les voit naitre, soit directement du sein de la terre, soit indirectement, pour ainsi dire, par l’érosion des plateaux, de même qu’une statue apparait peu à peu dans un bloc de marbre. Lorsqu’une masse insulaire ou continentale, haute de centaines ou de milliers de mètres, reçoit des pluies en abondance, ses versants sont graduellement sculptés en ravins, en vallons, en vallées; la surface uniforme du plateau se découpe en cimes, en arêtes, en pyramides, se creuse en cirques, en bassins, en précipices; des systèmes de montagnes apparaissent peu à peu là où le sol uni se déroulait sur d’énormes étendues. II] est même des régions de la terre où le plateau, attaqué par des pluies sur un seul côté, ne s’échancre en montagnes que par ce versant: telle est, en Espagne, cette terrasse de la Manche qui s’affaisse vers |’Andalousie par les escarpements de la sierra Morena. elles ont révélé le noyau de la montagne comme une draperie retirée soudain découvre un monument caché. En outre de ces causes extérieures qui changent les plateaux en montagnes, s'accomplissent aussi dans l’intérieur de la terre de lentes transformations qui ont pour conséquence d’énormes effondrements. Les hommes laborieux qui, le marteau a la main, cheminent pendant des années entières à travers les monts pour en étudier la forme et la structure, remarquent, dans les nouvelles assises de formation marine qui constituent la partie non cristalline des monts, de gigantesques failles ou fissures de séparation qui s’étendent sur des centaines de kilomètres de longueur. Des masses, ayant des milliers de mètres d’épaisseur, se sont redressées dans ces chutes ou même ont été complètement renversées, de sorte que leur ancienne surface est devenue maintenant le plan inférieur. Les assises, en s’affaissant par chutes successives, ont dénudé le squelette de roches cristallines qu’elles entouraient comme un manteau; elles ont révélé le noyau de la montagne comme une draperie retirée soudain découvre un monument caché.
Heureusement la terre, toujours en travail de création nouvelle, ne cesse d’agir sous nos yeux et de nous montrer comment elle change peu à peu les rugosités de sa surface. Elle se détruit, mais elle se reconstruit de jour en jour, constamment; elle nivelle ses montagnes, mais pour en édifier d’autres; elle creuse des vallées, mais pour les combler encore. En parcourant la surface du globe et en observant avec soin les phénomènes de la nature, on peut donc voir se former des coteaux et des monts, lentement, il est vrai, et non pas d'une soudaine poussée, comme le demanderaient des amis du miracle. On les voit naitre, soit directement du sein de la terre, soit indirectement, pour ainsi dire, par l’érosion des plateaux, de même qu’une statue apparait peu à peu dans un bloc de marbre. Lorsqu’une masse insulaire ou continentale, haute de centaines ou de milliers de mètres, reçoit des pluies en abondance, ses versants sont graduellement sculptés en ravins, en vallons, en vallées; la surface uniforme du plateau se découpe en cimes, en arêtes, en pyramides, se creuse en cirques, en bassins, en précipices; des systèmes de montagnes apparaissent peu à peu là où le sol uni se déroulait sur d’énormes étendues. II] est même des régions de la terre où le plateau, attaqué par des pluies sur un seul côté, ne s’échancre en montagnes que par ce versant: telle est, en Espagne, cette terrasse de la Manche qui s’affaisse vers |’Andalousie par les escarpements de la sierra Morena.
elles ont révélé le noyau de la montagne comme une draperie retirée soudain découvre un monument caché.
En outre de ces causes extérieures qui changent les plateaux en montagnes, s'accomplissent aussi dans l’intérieur de la terre de lentes transformations qui ont pour conséquence d’énormes effondrements. Les hommes laborieux qui, le marteau a la main, cheminent pendant des années entières à travers les monts pour en étudier la forme et la structure, remarquent, dans les nouvelles assises de formation marine qui constituent la partie non cristalline des monts, de gigantesques failles ou fissures de séparation qui s’étendent sur des centaines de kilomètres de longueur. Des masses, ayant des milliers de mètres d’épaisseur, se sont redressées dans ces chutes ou même ont été complètement renversées, de sorte que leur ancienne surface est devenue maintenant le plan inférieur. Les assises, en s’affaissant par chutes successives, ont dénudé le squelette de roches cristallines qu’elles entouraient comme un manteau; elles ont révélé le noyau de la montagne comme une draperie retirée soudain découvre un monument caché.
Mais les écroulements eux-mêmes ont eu moins d’importance que les plissements dans l’histoire de la terre et dans celle des montagnes qui en forment les rugosités extérieures. Soumises à de lentes pressions séculaires, la roche, l’argile, les couches de grés, les veines de métal, tout se plisse comme le ferait une étoffe, et les plis qui naissent ainsi forment les monts et les vallées. Semblable à la surface de l’Océan, celle de la terre s’agite en vagues mais ces ondulations sont bien autrement puissantes: ce sont les Andes, c’est l’Himalaya, qui se redressent ainsi au-dessus du niveau moyen des plaines. Sans cesse les roches de la terre se trouvent soumises à ces impulsions latérales qui les ploient et les reploient diversement, et les assises sont dans une fluctuation continuelle. C’est ainsi que se ride la peau d’un fruit. le regard du savant peut seul reconnaître qu’elles ont jailli du sein de la grande fournaise, la terre, comme une masse de métal en fusion Les cimes qui surgissent directement du sol et qui montent graduellement du niveau de l’Océan vers les hauteurs glacées de l‘atmosphère sont les montagnes de laves et des cendres volcaniques. En maints endroits de la surface terrestre, on peut les étudier à l’aise, s'élevant, grandissant a vue d’œil. Bien différents des montagnes ordinaires, les volcans proprement dits sont percés d’une cheminée centrale par laquelle s'échappent des vapeurs et les fragments pulvérisés de roches incendiées; mais, quand ils s’éteignent, la cheminée se ferme, et les pentes du cône volcanique, dont le profil perd de sa régularité première sous l’influence des pluies et de la végétation, finissent par ressembler 4 celles des autres monts. D’ailleurs, il est des masses rocheuses qui, en s'élevant du sein de la terre, soit à l'état liquide, soit à l'état piteux, sortent tout simplement d’une longue crevasse du sol et ne sont point lancées par un cratère, comme les scories du Vésuve et de l’Etna. Les laves qui s’accumulent en sommets et se ramifient en promontoires ne diffèrent que par leur jeunesse de ces vieilles montagnes chenues qui hérissent ailleurs la surface de la terre. Les laves jadis brillantes se refroidissent peu à peu; elles se délitent extérieurement et se revêtent de terre végétale; elles reçoivent l’eau de pluie dans leurs interstices et la rendent en ruisselets et en rivières; enfin elles se recouvrent à leur base de formations géologiques nouvelles et s’entourent, comme les autres montagnes, d’assises de galets, de sable ou d'argile. A la longue, le regard du savant peut seul reconnaitre qu’elles ont jailli du sein de la grande fournaise, la terre, comme une masse de métal en fusion.
Mais les écroulements eux-mêmes ont eu moins d’importance que les plissements dans l’histoire de la terre et dans celle des montagnes qui en forment les rugosités extérieures.
le regard du savant peut seul reconnaître qu’elles ont jailli du sein de la grande fournaise, la terre, comme une masse de métal en fusion
Les cimes qui surgissent directement du sol et qui montent graduellement du niveau de l’Océan vers les hauteurs glacées de l‘atmosphère sont les montagnes de laves et des cendres volcaniques. En maints endroits de la surface terrestre, on peut les étudier à l’aise, s'élevant, grandissant a vue d’œil. Bien différents des montagnes ordinaires, les volcans proprement dits sont percés d’une cheminée centrale par laquelle s'échappent des vapeurs et les fragments pulvérisés de roches incendiées; mais, quand ils s’éteignent, la cheminée se ferme, et les pentes du cône volcanique, dont le profil perd de sa régularité première sous l’influence des pluies et de la végétation, finissent par ressembler 4 celles des autres monts. D’ailleurs, il est des masses rocheuses qui, en s'élevant du sein de la terre, soit à l'état liquide, soit à l'état piteux, sortent tout simplement d’une longue crevasse du sol et ne sont point lancées par un cratère, comme les scories du Vésuve et de l’Etna. Les laves qui s’accumulent en sommets et se ramifient en promontoires ne diffèrent que par leur jeunesse de ces vieilles montagnes chenues qui hérissent ailleurs la surface de la terre. Les laves jadis brillantes se refroidissent peu à peu; elles se délitent extérieurement et se revêtent de terre végétale; elles reçoivent l’eau de pluie dans leurs interstices et la rendent en ruisselets et en rivières; enfin elles se recouvrent à leur base de formations géologiques nouvelles et s’entourent, comme les autres montagnes, d’assises de galets, de sable ou d'argile. A la longue, le regard du savant peut seul reconnaitre qu’elles ont jailli du sein de la grande fournaise, la terre, comme une masse de métal en fusion.
Jérôme Kirman, notre médiateur en informatique, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’œuvre de Vernor Vinge « Aux tréfonds du ciel ».
Jacques Petitpré, notre médiateur en physique, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’œuvre « Monsieur Tompkins explore l’atome ».
Robin Jamet, notre médiateur en mathématiques, nous plonge dans son univers à travers la lecture de deux textes extraits des œuvres « Espèce d’espace » et « Penser/Classer ».
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