Les Étincelles du Palais de la découverte
La médiation scientifique
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Philippe Thébaut, astrophysicien, chercheur à l'Observatoire de Paris et médiateur, nous partage la lecture d’un texte extrait de l'ouvrage de Nicolas Copernic « De revolutionibus orbium coelestium » qui a véritablement révolutionné et bousculé la vision du monde tel qu’on se l’imaginait, tout en marquant le début d'un long processus de détermination scientifique sur le système solaire.
Alexandre Héraud (Voix off) Philippe Thébaut (Médiateur) Léa Minod (Journaliste) Moise Courilleau (Lecture en direct)
Voix off : Le Palais de la Découverte présente « Sciences Lues », un podcast pour s'immerger dans la culture scientifique de Démocrite à nos jours.
Episode 7 : "De revolutionibus orbium coeletium", une collection de textes de Nicolas Copernic.
Léa Minod : Construite sur les anciens abattoirs de Paris en 1986, la Cité des Sciences constitue avec le Palais de la Découverte, une véritable passerelle entre la science, la société, les technologies et le public. C'est là, dans ce lieu aux allures toujours modernistes, que travaillent régulièrement les médiateurs et médiatrice du Palais de la Découverte pendant sa rénovation. Astrophysicien, chercheur à l'Observatoire de Paris et médiateur, Philippe Thébaut a le nez dans les étoiles depuis ses 11 ans, car c'est là l'un des seuls objets de la recherche scientifique, dont on ignore toute la matière et qu'on ne peut qu'observer ou conjecturer. Alors, aujourd'hui plongé dans le noir et équipé de casques Bluetooth, le public tend l'oreille aux mots d'un astronome célèbre, Nicolas Copernic. Sur scène, le comédien Moise Courilleau s'empare du texte, tandis que notre réalisateur plonge le public dans un environnement sonore conçu sur mesure.
Bonjour Philippe Thébaut.
Philipe Thébaut : Bonjour.
Léa Minod : Pour cet épisode de « Sciences Lues », vous avez choisi la préface du texte de Nicolas Copernic. C'est là où il pose sa théorie de l'héliocentrisme. Même si tout le monde connaît le nom de Nicolas Copernic, est-ce que vous pouvez nous rappeler qui il est ?
Philipe Thébaut : Alors Nicolas Copernic, c'est un astronome, il n'était pas seulement astronome, il était aussi médecin, il était comptable. L'histoire a retenu que c'est un astronome polonais.
Léa Minod : Chanoine, aussi.
Philipe Thébaut : Oui, chanoine, il était chanoine. Et l'histoire a retenu essentiellement son apport en astronomie. Il vivait dans ce qu'on appelait à l'époque la Prusse, mais qui venait juste de devenir polonaise. Pour l'anecdote, en fait, il parlait très mal le polonais. Il parlait très bien l'allemand, qui était sa langue maternelle, et le latin, mais il s'est fait toujours accompagné d'un traducteur quand il devait parler aux populations polonaises de là où il était chanoine. Et donc Nicolas Copernic est resté à la postérité parce que c'est le premier qui a proposé un modèle du monde cohérent, révolutionnaire, à tous les sens du terme "Révolution", ça veut dire « faire un tour autour de », dans lequel la Terre n'était plus au centre du monde.
Léa Minod : Alors la Terre est où ?
Philipe Thébaut : Et bien la Terre devient une planète parmi d'autres en orbite autour de l'objet qui prend le centre du monde, qui est le soleil. D'où le nom de système héliocentrique, Hélios : le Soleil.
Léa Minod : Est-ce que vous vous souvenez de la première fois que vous êtes tombé sur le texte de Copernic ?
Philipe Thébaut : Je crois que la première fois que je suis tombé sur le texte de Copernic, c'était dans un recueil de textes essentiels de l'astronomie. C'était un extrait du texte, justement, où il y avait en partie l'introduction qu'il avait écrite pour le pape. Ce recueil, c'était les "Textes essentiels de l'astronomie et de l'astrophysique" aux éditions Bouquins, voilà je leur fais de la pub. Et vraiment, j'avais trouvé ce texte vraiment extrêmement fort.
Léa Minod : Alors, c'est curieux, parce que vous n'avez pas choisi le texte qui parle de l'héliocentrisme, mais plutôt la préface du livre. Pourquoi ?
Philipe Thébaut : Pour plusieurs raisons, parce que le texte lui-même, on va dire que ce n'est pas non plus...Dan Brown ou Harry Potter… C'est quand même une lecture assez aride, mais je trouvais que l'introduction avait une force, une puissance. Et aussi montrer que Copernic, contrairement à ce qu'on croit parfois -on a souvent été assez injuste avec Copernic- avait parfaitement compris que ce qu'il allait dire allait choquer et il anticipait par avance les reproches qu'on allait lui faire. Et il les démontait par avance avec des arguments qui sont, je pense, toujours d'une grande actualité.
Léa Minod : Et quel est le modèle qui prédomine à l'époque, si ce n'est pas l'héliocentrisme ?
Philipe Thébaut : Le modèle qui prédomine, par défaut, c'est le géocentrisme où c'est la Terre qui est au centre du monde. C'est le modèle hérité des grands savants de l'Antiquité, Platon, Aristote et en particulier le grand astronome de l'Antiquité qui s'appelle Ptolémée, qui, au IIᵉ siècle après Jésus-Christ, a proposé un modèle du monde extrêmement précis, sophistiqué, dans lequel il explique tous les mouvements des astres dans le ciel en mettant la terre au centre. C'est extrêmement compliqué. Mathématiquement, il est obligé de faire des tours de passe-passe incroyable, mais ça marche. Et tout le monde est content parce que ça marche.
Léa Minod : Et que ça va dans le sens de la religion.
Philipe Thébaut : Dans le sens de la religion et aussi de l'intuition, parce que quand vous regardez le ciel autour de vous, tout vous porte à croire que vous êtes vraiment immobile au centre du monde et que tout tourne autour de vous. Ça combine donc à la fois l'explication mathématique et le bon sens, si j'ose dire.
Léa Minod : Et alors, quand est-ce qu'il a publié ce livre ? C'était très tardivement, non ?
Philipe Thébaut : Oui, il la publie en 1543. Le livre a été publié juste après la mort de Copernic. Copernic a pris la décision de publier son ouvrage assez tard dans sa vie, mais c'est quand même lui qui a pris la décision de le publier. Il n'a pas été publié de manière posthume, contre sa volonté. Non, il a décidé de le faire, mais malheureusement, il est mort avant la parution de son ouvrage.
Léa Minod : Est-ce qu'il savait -mais peut-être qu'on en parlera après- que ça allait être révolutionnaire ?
Philipe Thébaut : Oui, il le sait. Et d'ailleurs, la préface, justement, le texte de la préface, montre parfaitement qu'il est totalement conscient que ça va choquer, que des gens vont s'opposer à son système et souvent pour de mauvaises raisons, parce qu'à l'époque, c'est pas seulement les religieux, c'est pas seulement le grand public, mais les savants de l'époque sont parfaitement satisfaits avec le modèle hérité des grands savants grecs de l'Antiquité et aussi des grands savants du monde arabo-musulman du Moyen Âge qui ont encore plus sophistiqué le modèle des Grecs. Et tout le monde est parfaitement content. Il sait bien qu'il va un petit peu rentrer dans le tas, si j'ose dire.
Léa Minod : Alors on ferme les yeux et on se plonge dans les mots de cet astronome révolutionnaire.
Moise Courilleau :
« Je puis fort bien m'imaginer, très Saint-Père, que dès que certaines gens auront appris que, dans ces livres que j'ai composé sur les révolutions des sphères du monde j'attribue au globe terrestre certains mouvements, ils vont aussitôt crier qu'il faut me mettre au ban avec une telle opinion. Aussi, comme je me représentais combien absurde estimeraient cette doctrine, ceux qui savent être confirmés par le jugement de nombreux siècles. L'opinion que Terre est immobile au milieu du ciel comme si elle en était le centre. Et j'affirmais, au contraire, que la terre se meut. J'ai longuement hésité. Publierai-je les livres que j'ai écrit pour démontrer son mouvement, ou bien ne serait il pas préférable de suivre l'exemple des Pythagoristes, et de quelques autres, qui ont accoutumé de transmettre, non pas par écrit, mais de la main à la main, les mystères de la philosophie à leurs proches et à leurs amis, ainsi qu'en témoigne la lettre de Lysis à Hipparque. Et, me semble-t-il, s'ils ont agi ainsi, ce n'est nullement, comme le pensent certains, parce qu'ils refusaient jalousement de communiquer leurs connaissances, mais pour éviter que des choses très belles et étudiées avec beaucoup de peine par les grands hommes ne soient méprisées par ceux qui répugnent à consacrer un effort sérieux aux études, sauf à celles qui rapportent, ou par ceux qui, même incités par des exhortations et l'exemple d'autrui à l'étude libérale de la philosophie. Cependant, en raison de la stupidité de leur esprit, sont parmi les philosophes comme les bourdons, parmi les abeilles. C'est pourquoi, comme j'agitais en moi-même ces idées, le mépris qui était à craindre en raison de la nouveauté, de l'absurdité de mon opinion, m'avait presque poussé à interrompre définitivement l'œuvre que j'avais commencé. Cependant, mes amis vinrent à bout de mes longues hésitations, et même de ma résistance. Si d'aventure, il se trouve de vains discoureurs, qui, tout en étant totalement ignorant des mathématiques, prétendent néanmoins juger de ces matières. Et qui, en raison de tel ou tel passage de l'écriture de l'alignement détourné dans le sens de leurs opinions osent blâmer et attaquer mon œuvre, et bien, je ne me soucie aucunement d'eux. Mieux, je méprise leurs jugements comme téméraires. On n'ignore pas, en effet, que Lactance, par ailleurs célèbre écrivain, mais piètre mathématicien, parle d'une façon tout à fait puérile de la forme de la Terre lorsqu'il tourne en dérision ce qui ont enseigné que la Terre a la forme d'un globe. C'est pourquoi les savants ne doivent pas s'étonner si de telles légendes tournent aussi en dérision. Les mathématiques sont écrites pour les mathématiciens. Aux yeux de qui mes travaux, si je ne me trompe, paraîtront apporter quelque chose à la République ecclésiastique dont la sainteté occupe actuellement la tête. »
« Je puis fort bien m'imaginer, très Saint-Père, que dès que certaines gens auront appris que, dans ces livres que j'ai composé sur les révolutions des sphères du monde j'attribue au globe terrestre certains mouvements, ils vont aussitôt crier qu'il faut me mettre au ban avec une telle opinion. Aussi, comme je me représentais combien absurde estimeraient cette doctrine, ceux qui savent être confirmés par le jugement de nombreux siècles. L'opinion que Terre est immobile au milieu du ciel comme si elle en était le centre. Et j'affirmais, au contraire, que la terre se meut. J'ai longuement hésité. Publierai-je les livres que j'ai écrit pour démontrer son mouvement, ou bien ne serait il pas préférable de suivre l'exemple des Pythagoristes, et de quelques autres, qui ont accoutumé de transmettre, non pas par écrit, mais de la main à la main, les mystères de la philosophie à leurs proches et à leurs amis, ainsi qu'en témoigne la lettre de Lysis à Hipparque.
Et, me semble-t-il, s'ils ont agi ainsi, ce n'est nullement, comme le pensent certains, parce qu'ils refusaient jalousement de communiquer leurs connaissances, mais pour éviter que des choses très belles et étudiées avec beaucoup de peine par les grands hommes ne soient méprisées par ceux qui répugnent à consacrer un effort sérieux aux études, sauf à celles qui rapportent, ou par ceux qui, même incités par des exhortations et l'exemple d'autrui à l'étude libérale de la philosophie. Cependant, en raison de la stupidité de leur esprit, sont parmi les philosophes comme les bourdons, parmi les abeilles. C'est pourquoi, comme j'agitais en moi-même ces idées, le mépris qui était à craindre en raison de la nouveauté, de l'absurdité de mon opinion, m'avait presque poussé à interrompre définitivement l'œuvre que j'avais commencé.
Cependant, mes amis vinrent à bout de mes longues hésitations, et même de ma résistance. Si d'aventure, il se trouve de vains discoureurs, qui, tout en étant totalement ignorant des mathématiques, prétendent néanmoins juger de ces matières. Et qui, en raison de tel ou tel passage de l'écriture de l'alignement détourné dans le sens de leurs opinions osent blâmer et attaquer mon œuvre, et bien, je ne me soucie aucunement d'eux. Mieux, je méprise leurs jugements comme téméraires. On n'ignore pas, en effet, que Lactance, par ailleurs célèbre écrivain, mais piètre mathématicien, parle d'une façon tout à fait puérile de la forme de la Terre lorsqu'il tourne en dérision ce qui ont enseigné que la Terre a la forme d'un globe. C'est pourquoi les savants ne doivent pas s'étonner si de telles légendes tournent aussi en dérision. Les mathématiques sont écrites pour les mathématiciens. Aux yeux de qui mes travaux, si je ne me trompe, paraîtront apporter quelque chose à la République ecclésiastique dont la sainteté occupe actuellement la tête. »
Léa Minod : Alors, Philippe Thébaud, on perçoit dans cette préface un peu tous les questionnements, les doutes de Copernic face à la publication de son texte. C'est comme s'il nous donnait accès à son intériorité.
Philipe Thébaut : C'est exactement ça. C'est une espèce de confession assez honnête. C'est assez impressionnant parce qu'il s'adresse quand même à l'autorité religieuse suprême de l'époque. Et il est évident que cette préface est écrite pour un côté diplomatique, évidemment. Mais, on sent que c'est sincère, on sent que c'est vraiment ce qu'il pense. Et ça ne va pas être loin de la vraie démarche qu'il a eue, d'hésitation effectivement, à publier ses découvertes, ses travaux.
Léa Minod : Parce qu'il s'adresse donc au Très Saint-Père, donc au Pape, c'est ça ? Et en même temps, il réfute toutes les personnes qui ne seraient pas en mesure de comprendre son texte, c'est-à-dire toutes les personnes qui n'ont pas l'esprit mathématique.
Philipe Thébaut : Exactement. C'est ça qui fait la force de ce texte, c'est qu'il dit :"J'ai parfaitement conscience que ça va choquer". Implicitement, si on lit entre les lignes, il est prêt à accepter la critique, le débat. Par contre, il n'est prêt à l'accepter que pour des bonnes raisons, par des gens qui maîtrisent le sujet, c'est-à-dire qu'on ne peut pas lui opposer que son modèle est stupide sans argumenter scientifiquement. Si on dit que son modèle est stupide parce que dans les Écritures, donc dans la Bible, il y a un passage qu'on peut interpréter d'une certaine manière comme quoi, peut-être, la terre est au centre et ne bouge pas, pour lui, c'est pas recevable. Il accepte la critique si elle vient de personnes qui sont ses pairs, c'est-à-dire des gens qui maîtrisent le sujet comme lui.
Léa Minod : Et alors, il y a plusieurs références dans ce texte. Il y a notamment l'histoire de la lettre de Lysis à Hipparque, est-ce que ça vous dit quelque chose ?
Philipe Thébaut : Alors, pas exactement, mais disons que tout ce passage où il parle des Pythagoriciens en fait, il dit :"Voilà, j'ai beaucoup hésité. Je pensais faire comme ont fait les Pythagoriciens, à l'époque." On pensait qu'ils ont fait - parce qu'il n'y a quand même pas énormément d'écrits pythagoriciens qu'il nous reste - c'est-à-dire de garder un petit peu nos découvertes pour nous, entre nous, entre gens compétents, pour être sûrs qu'ils ne soient pas souillés par des gens qui ne maîtrisent pas le sujet. Et c'est vrai que Copernic, il avait fait ses travaux, l'essentiel de ses travaux, dès les années 1510. Donc plusieurs décennies avant de publier, il avait déjà envoyé un petit résumé de ses travaux à quelques "happy few", si j'ose dire, des collègues bien choisis, des gens bien choisis en Europe, auxquels il a fait lire ses travaux, mais c'était un peu sous le manteau. Ce n'est pas du tout officiel. Alors, est-ce que c'était pour tester l'eau de la piscine avant de plonger ? Mais c'était certainement cette approche, un petit peu, des pythagoriciens :"J'écris à des gens dont je sais pertinemment qu'ils vont comprendre ce que je dis. J'attends de voir leur réaction et voilà.".
Léa Minod : Mais lui parle même de transmission orale d'abord, en fait.
Philipe Thébaut : Effectivement, il est évident qu'il en a parlé oralement autour de lui. Et pour lui, peut-être que ça avait un sens, que ça reste dans un petit cercle restreint. On ne saura jamais exactement s'il aurait pris cette décision de publier, sans l'intervention d'une personne cruciale, un de ses disciples qui s'appelle Rhéticus, qui va vraiment le pousser à publier ça de manière officielle.
Léa Minod : C'est ce qu'il dit aussi, que ses amis, c'est eux qui l'aident. Je n'ai plus la phrase exactement, mais ce sont eux qui l'aident à publier le texte.
Philipe Thébaut : Exactement, tout d'abord, les premiers amis, ça va être autour de lui, en Prusse, en Pologne, des amis, des ecclésiastiques. Et puis, vraiment un personnage crucial dans la publication de l'ouvrage de Copernic, dans le "De revolutionibus ", c'est un savant qui s'appelle Rhéticus, un disciple, un protestant, d'ailleurs, alors que Copernic, lui, est catholique. On est en pleine guerre de religion. Et qui va venir voir Copernic sur place en Pologne pour le convaincre de publier et pour l'aider dans cette publication.
Léa Minod : Et pourquoi cette publication a lieu après sa mort et pas de son vivant ?
Philipe Thébaut : Alors, normalement, elle aurait dû avoir lieu de son vivant. Il a pris la décision de son vivant, mais simplement les aléas de la vie font que... Un des aléas de la vie, c'est la mort. Et il est malheureusement mort pendant l'édition de son livre.
Léa Minod : A Nuremberg.
Philipe Thébaut : Exactement.
Léa Minod : Mais ce n'était pas une volonté pour lui de publier à titre posthume.
Philipe Thébaut : Alors pas du tout. Ça c'est une légende un peu qui circule parfois, non, non. Copernic a pris la décision de publier et il était parfaitement conscient. Et il ne pouvait pas anticiper qu'il allait mourir avant la publication du livre.
Léa Minod : Et le livre, donc, est publié à sa mort. Est-ce que vous savez quelle est la réception ?
Philipe Thébaut : Contrairement à ce qu'on croit parfois aussi, le livre de Copernic ne va pas être interdit par l'Église, en tout cas pas tout de suite. On va attendre 73 ans, on va attendre l'an 1616 pour que la papauté place le livre de Copernic à l'index, c'est-à-dire les livres interdits. Pendant 73 ans, il va être en vente libre si j'ose dire, et il va circuler librement. Il faut bien voir que pendant une ou deux générations, il va y avoir peu de gens qui vont être ouvertement coperniciens. Très peu de gens vont publiquement soutenir Copernic. Et très peu de gens, je pense même, vont le soutenir, dans l'absolu. Les premiers textes de personnes qui soutiennent officiellement Copernic, c'est vraiment l'extrême fin du XVIᵉ siècle. Un Anglais qui s'appelle Digges dans les années 1580-1590, ça va attendre donc 50 ans. Et par exemple, le plus grand astronome de la génération après Copernic, il s'appelle Tycho Brahe, c’est un génie, quelqu'un de vraiment remarquable, mais Tycho Brahe ne va pas adhérer au système de Copernic. Alors il ne va pas non plus adhérer au système des Grecs anciens parce qu'il conçoit bien que, quand même, ce n'est pas tenable. Il va faire une espèce de mixe des deux, un modèle qu’il va essayer un peu de marier, la carpe et le lapin, qui s'appelle le modèle de Tycho, mais il ne va pas adhérer au modèle de Copernic.
Léa Minod : Et Galilée alors ?
Philipe Thébaut : Alors Galilée, oui, bien sûr, mais alors là on parle de 60 ans plus tard déjà, Galilée et l'autre grand astronome de l'époque, Kepler, en Allemagne. Eux, vont être les deux plus grands savants ouvertement coperniciens. Et en fait, c'est grâce à Galilée et Kepler que, finalement, la communauté scientifique va finir par accepter le modèle de Copernic. C'est eux les plus grands colporteurs, on va dire, les plus grands messagers, les plus grands vulgarisateurs. Et aussi, ils vont perfectionner, évidemment, les théories de Copernic.
Léa Minod : Et aujourd'hui, on est toujours d'accord avec le modèle copernicien ?
Philipe Thébaut : Dans ses grandes lignes, évidemment. Alors bien sûr on a fait d'autres progrès, depuis. La chose qui a changé par rapport à Copernic, c'est qu'on sait que le soleil n'est pas au centre du monde. Le Soleil, c'est une étoile parmi d'autres qu'on voit dans le ciel. Mais le fait que les mouvements qu'on semble voir dans le ciel ne sont pas dus à des mouvements du ciel lui-même, mais à des mouvements de la Terre elle-même en orbite autour du Soleil et qui tourne sur elle-même en 24 heures, ça, ça tient toujours la route, évidemment.
Léa Minod : Une dernière question, pourquoi est-ce que c'était important pour vous aujourd'hui de nous faire entendre ce texte, donc qui est la préface, et de faire resurgir Copernic qu'on connaît tous un peu ?
Philipe Thébaut : Déjà d'un point de vue purement personnel, moi j'aime beaucoup Copernic et je n'aime pas quand on rabaisse un peu la contribution de Copernic. Et puis, essentiellement quand même, c'est parce que pour moi, ce texte est encore vraiment d'actualité. Si on oublie le contexte de l'époque, mais on peut le replacer aujourd'hui, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, il y a plein d'exemples où il y a des théories qui ne plaisent pas forcément à tout le monde : la théorie de l'évolution, le réchauffement climatique. Des choses comme ça où plein de gens qui ne sont absolument pas spécialistes du sujet donnent des avis et des avis très définitifs, très radicaux alors qu'ils ne maîtrisent absolument pas le sujet. Et on pourrait très bien leur opposer exactement les arguments de Copernic, à peu près avec les mêmes mots que Copernic : "Vous n'y connaissez pas grand-chose. J'accepte la critique. On peut parfaitement discuter de l'évolution, on peut discuter du réchauffement climatique, mais il faut avoir des arguments scientifiques. Il ne faut pas juste débarquer comme ça, sans aucun bagage, sur des sujets qui ne sont pas forcément évidents."
Léa Minod : Merci beaucoup. Est-ce qu'il y a des questions dans le public ?
Question Public 1 : Oui, j'avais une question parce qu'en fait, au début du texte, Copernic dit qu'il a hésité à interrompre l'œuvre qu'il avait commencé. C'est-à-dire qu'à l'époque, il s'était autocensuré ? Est-ce qu'on a une idée de l'autocensure qui pouvait s'appliquer ou pas ?
Philipe Thébaut : Alors, pour l'essentiel, l'autocensure était…, enfin, « l'autocensure potentielle » en tout cas, était de savoir s'il allait distribuer son texte où il présente son modèle soit juste parmi ses pairs, ses collègues, un cercle très restreint, soit en faire un livre édité au public. Et là, effectivement, il a hésité longtemps parce qu'on sait que Copernic, dès les années 1510, il avait l'essentiel de sa théorie. Donc il s'est écoulé, quand même une bonne trentaine d'années, entre le moment où il avait l'essentiel de sa théorie héliocentrique prête et le moment où il publie. Donc il a quand même longuement hésité avant de faire ça. Peut-être que c'était un peu excessif d'appeler ça de l'autocensure. On va dire que c'est de la prudence.
Question Public 2 : Mais alors prudence, peut-être qu'on le comprend quand on sait quel sort va être réservé à son suiveur qui est Galilée ? "Et pourtant, elle tourne" c'est le bûcher, me semble t-il.
Philipe Thébaut : Ah non, ce n'est pas le bûcher. Non, non, Galilée va finir assigné à résidence. Aujourd'hui, il serait condamné au bracelet électronique. On dirait ça de Galilée. C'est la différence entre Copernic et Galilée. C'est que Copernic est un obscur chanoine polonais, il n'est pas une célébrité. Galilée est une star à l'époque. J'exagère un peu. Je simplifie à mort, mais Galilée, ça va être le grand mathématicien du Duc de Toscane, c'est un ami personnel de l'un des papes, c'est quelqu'un de reconnu, de célèbre, qui va écrire un ouvrage qui, au contraire de l'ouvrage de Copernic -qui est un ouvrage quand même assez aride, long et technique- va écrire un petit ouvrage qui s'appelle "Le Messager des étoiles". Très court, très facile à lire, qui va être un best-seller, qui va lui valoir un succès énorme et Galilée, du fait de sa célébrité, de son renom, de son prestige, évidemment, tout ce qu'il va dire va avoir un poids que n'avait pas forcément Copernic à l'époque.
Question Public 3 : Bonjour. Étant complètement étranger au domaine, moi aussi j'ai d'abord en tête Galilée quand on parle du système héliocentrique, mais est-ce que c'est juste parce qu'il était plus connu, si je puis dire, que c'est son nom qui est resté ? Ou est-ce qu'il a eu des apports importants dans la théorie ?
Philipe Thébaut : Alors oui, il a eu des apports, ce n'est pas juste son prestige. Il a eu des apports importants, mais la paternité de l'héliocentrisme, c'est Copernic. Alors si on veut vraiment être exact, on sait qu'il y a des savants Grecs dans l'Antiquité qui avaient déjà considéré l'héliocentrisme comme une possibilité : Héraclide du Pont, un pythagoricien, Aristarque, le plus célèbre d'entre eux. Mais aucun n'avait proposé un système du monde cohérent basé sur l'héliocentrisme. Ensuite, Galilée, il a fait un apport énorme. Galilée son apport principal, c'est que, en observant pour la première fois le ciel avec une lunette astronomique, en regardant ce qu'il voyait, il a pu, non pas prouver le modèle de Copernic, mais avancer des arguments très forts pour soutenir le modèle de Copernic ou surtout pour invalider la vision du monde qu'avaient les anciens. Par exemple, Galilée, ce qu'il va voir, c'est que la planète Jupiter est entourée de satellites, et ça, on pourrait dire :"So what ? Qu'est-ce que ça a comme intérêt ?". En fait, c'est vraiment fondamental parce que dans le modèle du monde hérité des Grecs anciens, il ne pouvait y avoir qu'un seul centre dans l'univers qui était le centre de tous les mouvements, la Terre. Et d'ailleurs, Aristote même disait de manière assez imprudente que -je paraphrase, mais en gros "si on découvre un deuxième centre, et bien ça prouverait que mon modèle est faux", mais il n'y a pas de deuxième centre. Et Galilée en quelque sorte, ce qu’il dit c’est : "Moi, j'ai découvert au moins un deuxième centre. Et une règle à laquelle il y a une exception n'est plus une règle."
Question Public 4 : Et d'ailleurs, vous avez expliqué que l'Église avait mis fin à la diffusion de ce livre au bout de 73 ans. Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi 73 ans ? Pourquoi est-ce qu'il a circulé pendant tant d'années et pourquoi un moment ça s'arrête ?
Philipe Thébaut : Alors je peux faire une réponse courte, en un mot : Galilée. Je peux faire une réponse un peu plus longue, c'est effectivement, c'est ce qu'on discutait il y a quelques instants, c'est que 1616, c'est 6 ans après l'apparition du fameux livre de Galilée, "Le Messager céleste", qui paraît en 1610. Donc, en 1610, Galilée fait paraître son livre. On commence à discuter énormément de l'héliocentrisme. Galilée, en plus, on va dire que c’était quand même une grande gueule pour parler un peu de manière triviale, donc justement, le retentissement que va avoir le livre de Galilée, qui appuie le modèle de Copernic va faire réaliser d'un seul coup à l'Église, ou en tout cas à une partie de l'église, qu'ici on a peut être un problème auquel on n'avait pas pensé avant et c'est pour ça qu'on 1616 va être prise la décision. C'est vraiment le retentissement du travail de Galilée, de ses conclusions, de son petit livre, qui vont faire que l'Église va réagir en 1616 avec 73 ans de retard, si j'ose dire.
Léa Minod : Nicolas Copernic a donc disparu dans une relative indifférence. Mais malgré la tentative de la chrétienté de balayer les théories de Copernic, ses travaux ont marqué le début d'un long processus de détermination scientifique sur le système solaire. Car après Galilée vint Newton. Et en ce sens, Copernic fut l'une des figures de proue de la révolution scientifique qui débuta à la Renaissance. D'ailleurs, en l'honneur de sa contribution à l'astronomie moderne, l'un des plus grands cratères de la Lune porte aujourd'hui le nom de Copernic.
Voix off : Merci à Philippe Thébaut et au reste de l'équipe des médiateurs et médiatrice du Palais de la Découverte ainsi qu'au public.
Lecture en direct : Moise Courilleau.
Une interview signée Léa Minod.
Sound design et réalisation Bertrand Chaumeton.
« Sciences Lues » est une série de podcasts originaux réalisée par Écran Sonore et produite par Universcience. Retrouvez Sciences Lues sur toutes les plateformes de podcasts ainsi que sur le site palais-découverte.fr.
« De revolutionibus orbium coelestium » est un ouvrage publié en 1543, dans lequel l’astronome polonais Nicolas Copernic expose son modèle héliocentrique du cosmos qui affirme que la Terre orbite autour du soleil en 1 an en plus de tourner sur elle-même en 24h. Ce modèle remet en cause de manière radicale le géocentrisme, hérité des savants grecs antiques et jusqu’alors universellement accepté en Europe et dans le monde arabo-musulman, dans lequel la Terre était censée être immobile et située au centre du cosmos.
Même si l’idée héliocentrique avait sans doute été envisagée par certains savants antiques (notamment Aristarque), Copernic est le premier à proposer un système du monde complet et mathématiquement cohérent basé sur ce concept. Copernic va travailler plus de trente ans sur son modèle et c’est poussé par son disciple Rhéticus qu’il finit par publier ses travaux en 1543, l’année de sa mort. Contrairement à ce que l'on croit parfois, Copernic est parfaitement conscient du caractère « révolutionnaire » (dans tous les sens du terme, la « révolution » étant, en astronomie, le mouvement périodique d’un astre autour d’un autre) de ses théories. Contrairement à ce qu’on croit parfois aussi, il ne se « défile » pas et est prêt à défendre ses idées bec et ongle. La préface qu’il dédie, en bon catholique (et prudent diplomate !) au Pape Paul III, en est une parfaite illustration. Il y réfute par avance les critiques que pourraient lui faire des théologiens ou penseurs qui ne se baseraient que sur des arguments idéologiques et religieux, et il y affirme, dans une phrase qui nous apparaît d’une étonnante modernité, que « les mathématiques sont écrites pour les mathématiciens ».
Je puis fort bien m'imaginer, très Saint-Père, que dès que certaines gens auront appris que, dans ces livres que j'ai composé sur les révolutions des sphères du monde j'attribue au globe terrestre certains mouvements, ils vont aussitôt crier qu'il faut me mettre au ban avec une telle opinion. Aussi, comme je me représentais combien absurde estimeraient cette doctrine, ceux qui savent être confirmés par le jugement de nombreux siècles. L'opinion que Terre est immobile au milieu du ciel comme si elle en était le centre. Et j'affirmais, au contraire, que la terre se meut. J'ai longuement hésité. Publierai-je les livres que j'ai écrit pour démontrer son mouvement, ou bien ne serait-il pas préférable de suivre l'exemple des Pythagoristes, et de quelques autres, qui ont accoutumé de transmettre, non pas par écrit, mais de la main à la main, les mystères de la philosophie à leurs proches et à leurs amis, ainsi qu'en témoigne la lettre de Lysis à Hipparque. Et, me semble-t-il, s'ils ont agi ainsi, ce n'est nullement, comme le pensent certains, parce qu'ils refusaient jalousement de communiquer leurs connaissances, mais pour éviter que des choses très belles et étudiées avec beaucoup de peine par les grands hommes ne soient méprisées par ceux qui répugnent à consacrer un effort sérieux aux études, sauf à celles qui rapportent, ou par ceux qui, même incités par des exhortations et l'exemple d'autrui à l'étude libérale de la philosophie. Cependant, en raison de la stupidité de leur esprit, sont parmi les philosophes comme les bourdons, parmi les abeilles. C'est pourquoi, comme j'agitais en moi-même ces idées, le mépris qui était à craindre en raison de la nouveauté, de l'absurdité de mon opinion, m'avait presque poussé à interrompre définitivement l'œuvre que j'avais commencé. Cependant, mes amis vinrent à bout de mes longues hésitations, et même de ma résistance. Si d'aventure, il se trouve de vains discoureurs, qui, tout en étant totalement ignorant des mathématiques, prétendent néanmoins juger de ces matières. Et qui, en raison de tel ou tel passage de l'écriture de l'alignement détourné dans le sens de leurs opinions osent blâmer et attaquer mon œuvre, et bien, je ne me soucie aucunement d'eux. Mieux, je méprise leurs jugements comme téméraires. On n'ignore pas, en effet, que Lactance, par ailleurs célèbre écrivain, mais piètre mathématicien, parle d'une façon tout à fait puérile de la forme de la Terre lorsqu'il tourne en dérision ce qui ont enseigné que la Terre a la forme d'un globe. C'est pourquoi les savants ne doivent pas s'étonner si de telles légendes tournent aussi en dérision. Les mathématiques sont écrites pour les mathématiciens. Aux yeux de qui mes travaux, si je ne me trompe, paraîtront apporter quelque chose à la République ecclésiastique dont la sainteté occupe actuellement la tête.
Je puis fort bien m'imaginer, très Saint-Père, que dès que certaines gens auront appris que, dans ces livres que j'ai composé sur les révolutions des sphères du monde j'attribue au globe terrestre certains mouvements, ils vont aussitôt crier qu'il faut me mettre au ban avec une telle opinion. Aussi, comme je me représentais combien absurde estimeraient cette doctrine, ceux qui savent être confirmés par le jugement de nombreux siècles. L'opinion que Terre est immobile au milieu du ciel comme si elle en était le centre.
Et j'affirmais, au contraire, que la terre se meut.
J'ai longuement hésité. Publierai-je les livres que j'ai écrit pour démontrer son mouvement, ou bien ne serait-il pas préférable de suivre l'exemple des Pythagoristes, et de quelques autres, qui ont accoutumé de transmettre, non pas par écrit, mais de la main à la main, les mystères de la philosophie à leurs proches et à leurs amis, ainsi qu'en témoigne la lettre de Lysis à Hipparque.
Cependant, mes amis vinrent à bout de mes longues hésitations, et même de ma résistance. Si d'aventure, il se trouve de vains discoureurs, qui, tout en étant totalement ignorant des mathématiques, prétendent néanmoins juger de ces matières. Et qui, en raison de tel ou tel passage de l'écriture de l'alignement détourné dans le sens de leurs opinions osent blâmer et attaquer mon œuvre, et bien, je ne me soucie aucunement d'eux. Mieux, je méprise leurs jugements comme téméraires. On n'ignore pas, en effet, que Lactance, par ailleurs célèbre écrivain, mais piètre mathématicien, parle d'une façon tout à fait puérile de la forme de la Terre lorsqu'il tourne en dérision ce qui ont enseigné que la Terre a la forme d'un globe. C'est pourquoi les savants ne doivent pas s'étonner si de telles légendes tournent aussi en dérision. Les mathématiques sont écrites pour les mathématiciens. Aux yeux de qui mes travaux, si je ne me trompe, paraîtront apporter quelque chose à la République ecclésiastique dont la sainteté occupe actuellement la tête.
Emmanuel Sidot, notre médiateur en physique, nous partage la lecture d’un texte tiré de l'ouvrage "Institution de physique" d'Emilie du Chatelet.
Olivier Coulon, notre médiateur géologue, nous partage la lecture d’un texte de l’œuvre d’Elisée Reclus « Histoire d’une montagne ».
Jérôme Kirman, notre médiateur en informatique, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’œuvre de Vernor Vinge « Aux tréfonds du ciel ».
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