Les Étincelles du Palais de la découverte
La médiation scientifique
Découvrez le futur Palais
Bonjour, je suis Laure, médiatrice en mathématiques. Je souhaite remercier infiniment toutes les dessinatrices et tous les dessinateurs qui se sont prêtés au jeu et qui m’ont livré leurs visions multiples de l’infini en mathématiques ! Quel plaisir de recevoir vos dessins et de me laisser emporter au gré de vos imaginaires. Une expérience riche et différente de ce que j’avais imaginé, c’est pour ça que j’ai aimé le faire, merci à vous.Bonne lecture !
Merci à Chloé, grâce à qui nous commençons l’article par un amuse-bouche. Un gâteau pour les gourmands absolus, ceux qui ne sont jamais rassasiés, ceux qui ont une faim infinie ! Ce gâteau est un gâteau sans fin : à chaque coup de fourchette, il revient à sa taille initiale… et retrouve également sa forme ! Lorsque nous coupons et avalons (avec délice) la moitié du gâteau, la forme du morceau de part qui reste dans l’assiette est identique à la forme de la part entière initiale. Il faut dire que le triangle de départ n’est pas n’importe quel triangle. C’est un « triangle doré » : il est isocèle, et le rapport entre l’un de ses grands côtés et son petit côté est égal au nombre d’or : phi = 1,618… L’une des propriétés du triangle doré est la suivante : on peut couper ce triangle de façon à former deux triangles isocèles, le premier étant un triangle doré deux fois plus petit que le triangle initial (la part qui restera dans l’assiette) et le second un triangle d’argent (cette fois-ci, c'est le rapport entre l’un de ses petits côtés et le grand côté qui est égal au nombre d’or). On peut donc déguster ce gâteau petit à petit, en laissant toujours une part en forme de triangle doré dans l’assiette ; et grâce à Chloé, cette part reprend son volume initial dès que l’on a mangé l’autre qui était en forme de triangle d’argent.
Pour continuer, un dessin très symbolique, qui multiplie les références à l’infini. Il y a quatre symboles sur le dessin, les voyez-vous ?Il y a bien sûr le symbole de l’infini : le huit penché en haut de l’échelle. Mais aussi le ciel étoilé souvent associé à la notion d’infini, les fougères qui représentent des fractales et enfin l’échelle qui symbolise les différentes tailles des infinis. LE HUIT PENCHÉ
Le symbole de l’infini a été utilisé pour la première fois par le mathématicien John Wallis, en 1655. Ce n’est pas rien ! Employer un symbole pour représenter l’infini a permis à la communauté mathématique de s’accorder sur la définition du mot et de l’utiliser plus tard dans des calculs dits infinitésimaux. Mais pourquoi choisir cette écriture plutôt qu’une autre ? On ne connaît pas la réponse de Wallis, toutefois on peut essayer de l’imaginer. Un mathématicien contemporain de Wallis utilisait déjà la lettre m pour désigner l’infini. Elle signifiait alors 1 000 en chiffre romain, donc un « très grand » nombre. Le symbole ∞ était quant à lui employé à l’époque comme la ligature latine de la lettre m, de la même manière que les lettres o et e peuvent être liées pour former le caractère œ. Sans doute Wallis a-t-il aussi pensé que cette autre représentation du m muni de sa ligature latine ∞ formait une boucle fermée qui pouvait évoquer l'infini, puisqu'elle pouvait être parcourue infiniment.
Toujours est-il que c’est ce symbole qui est resté. Et on peut apprécier une belle coïncidence : 40 ans plus tard, on définissait la courbe mathématique appelée lemniscate de Bernoulli, qui a la forme du symbole infini. Attention, sa définition a été établie après la première utilisation du symbole par Wallis, la lemniscate n’est donc pas à l’origine du symbole infini, contrairement à ce que certains affirment !
LE CIEL ÉTOILÉ
Passons au ciel étoilé, avec un nouveau dessin : même en n’observant qu’un petit bout de ciel, on voit énormément d’étoiles… Cela soulève une question : y a-t-il un nombre infini d’étoiles dans l’Univers ?
Eh bien, nous n’en savons rien ! Nous ne savons même pas si l’Univers est infini ou non, car pour l’instant nous ne connaissons que l’Univers observable. Nous pouvons tout de même dire que dans cette partie de l’Univers, il y a énormément de… galaxies ! Quelques centaines de milliards, chacune d’elle contenant quelques centaines de milliards d’étoiles. Notre Voie lactée en comprend entre 200 et 400 milliards par exemple. Quelques centaines de milliards multiplié par quelques centaines de milliards, cela fait beaucoup, beaucoup d’étoiles. De quoi nous donner une impression d’infini, face à un beau ciel étoilé… Dans lequel il n’y a pourtant qu’un « grand nombre » d’étoiles !
Avant d’affronter l’infini avec un grand I, voilà un cours de notation avec Yui. Lorsque nous regardons le tableau, nous voyons le début de la très longue liste des nombres grâce à laquelle nous avons appris à compter : 1, 2, 3, 4, 5, 6… En rajoutant 1 de plus à chaque fois, nous pouvons continuer sans nous arrêter et aller aussi loin que nous le voulons : jusqu’à l’infini.
Ces nombres sont les nombres entiers naturels. Ils sont regroupés dans une grande bulle, appelée ensemble. Et voilà les trois petits points à l’intérieur de l’ensemble. Une notation bien pratique qui nous permet de dire que l’on continue la liste jusqu’à l’infini, sans avoir à les écrire. Ça tombe bien, puisque comme il y a un nombre infini d’entiers naturels, aucune bulle ne serait assez grande pour les contenir tous. La taille d’un ensemble est ce que l’on appelle son cardinal ; dans le cas des entiers naturels, elle est infinie et cet ensemble est noté ℕ.
ClocloMono nous a fourni un dessin très précieux, qui nous permet d’aborder une étape cruciale de pensée de l’infini en mathématique. Ce grand symbole est rempli de chiffres ; on y voit trois bandelettes qui sont mises en correspondance. La bandelette du milieu en jaune et bleu contient les nombres entiers naturels, l’ensemble ℕ, rappelez-vous.
La bandelette jaune contient le début de la liste des nombres pairs : 0, 2, 4, 6, 8… Si l’on rajoute +2 à chaque nombre, on pourra continuer le décompte… jusqu’à l’infini aussi ! Cela soulève une question : si je collectionne les nombres entiers d’un côté, puis les nombres pairs de l’autre, laquelle de mes deux collections sera la plus grande ?
En utilisant le langage de Yui, lequel de ces deux ensembles aura le plus grand cardinal ?
La réponse est loin d’être évidente. C’est Georg Cantor qui l’a donnée en 1874, ce qui a chamboulé beaucoup de mathématiciens de l’époque. « Puisqu’il est possible d’associer à chaque nombre entier un nombre pair (en le multipliant par 2 tout simplement), et à chaque nombre entier pair un nombre entier (en le divisant par 2)... il y a autant de nombres pairs que de nombres entiers ! » Voilà qui est contre-intuitif et dans tous les cas, c’est paradoxal ! Puisque si l’on prend l’ensemble des nombres entiers naturels, seulement la moitié des nombres sont pairs. Intuitivement, on dirait plutôt qu’il y a deux fois moins de nombres pairs que de nombres tout court.
Oui mais voilà, deux fois moins que l’infini, c’est toujours l’infini. Dans les deux cas, il y a un nombre infini de nombres et on peut les lister. Car on peut associer tous les nombres entiers à des nombres pairs, et tous les nombres pairs à des nombres entiers : les deux ensembles sont en correspondance exacte. En mathématiques, on dit qu’il y a une bijection entre les deux ensembles. Les deux infinis ont donc la même taille : on dit que ce sont des infinis dénombrables.
Encore plus troublant, la troisième bandelette, celle qui est verte. On y trouve tous les nombres avec une seule décimale après la virgule. Un peu comme si l’on pouvait zoomer entre deux nombres entiers. Il y en a donc dix fois plus que des nombres entiers... Et pourtant, il est possible de les lister : c’est-à-dire de les mettre en correspondance avec les nombres entiers. C’est donc un ensemble qui a la même taille que ℕ, il a un nombre infini dénombrable d’éléments.
Et si je rajoute encore une décimale ? C’est la même chose ! 10,00 sera en position 1 000 ; 59,67 sera en position 5 967 ; on peut toujours lister les éléments. Et je peux rajouter autant de décimales que je veux… On progressera d’autant plus lentement dans le décompte, mais on pourra toujours lister tous les éléments de cet ensemble sans en oublier un seul ; tous ces ensembles seront en bijection avec ℕ.
DEUX INFINIS DIFFÉRENTS !
Et si je rajoute une infinité de décimales ? Là, la liste est beaucoup plus compliquée à établir ! On appelle cet ensemble l’ensemble des nombres réels. Il est noté ℝ et contient tous les nombres à virgule. L’ensemble des nombres réels n’est pas dénombrable, c’est-à-dire que l’on ne peut pas en faire la liste complète, même avec les nombres entiers, pourtant eux-mêmes en quantité infinie. Cela a été démontré par Cantor, en utilisant une preuve par l’absurde, connue sous le nom de « diagonale de Cantor ».
Attention, voici un résultat très important. Il y a au moins deux infinis différents : un qui serait en bijection avec ℕ, on parle d’un infini dénombrable car on peut faire la liste de ses éléments ; et un autre en bijection avec ℝ, on parle d’un infini non dénombrable.
Merci Mel pour ce dessin, qui nous donne terriblement envie d'aller prendre le bon air des montagnes… Il était temps d’illustrer ce billet avec un vrai nombre réel. L’avez-vous reconnu ? C’est le nombre pi, avec ses premières décimales.
Le 14 mars 2019 ‒ qui est le jour de pi, et même le « Pi Day », car c’est le 3.14 pour les Anglo-Saxons ‒ a été battu le record de calcul des décimales du nombre pi : 31 415 926 535 897 ! Un nombre bien spécifique, non ? En effet, le nombre de décimales calculées correspond aux premières décimales du nombre lui-même ! Nous connaissons donc à peu près 30 millions de millions de décimales de pi ! Si l’on imprimait des livres contenant ces décimales (un livre de 400 pages en contient un million), il faudrait une bibliothèque aussi grande que la Bibliothèque nationale de France pour pouvoir tous les stocker. C’est énorme, mais beaucoup moins que le nombre d’étoiles dans l’Univers observable tout de même : des milliers de milliards de milliards.
Nous ne calculerions pas les 30 millions de millions de décimales d’un nombre rationnel. Un nombre rationnel est un nombre que l’on peut écrire sous la forme d’une fraction.
Prenons 1/3 par exemple, :1/3 = 1,333 333 3… Il a bien un nombre infini de décimales, mais ce sont toutes les mêmes !Quant à 22/7 = 3,142 857 142 857 142 857… Avez-vous remarqué ? La suite de décimales répétées est plus longue, mais là aussi la répétition se poursuivra jusqu’à l’infini.
Pour calculer les décimales d’un nombre rationnel, il suffit d’identifier la séquence qui se répète, puis… de la répéter, jusqu’à l’infini ! Car tous les nombres rationnels se « terminent » de cette manière-là, une répétition infinie (ou s'arrêtent tout court, comme ½ qui vaut... 0,5). Ce n’est pas le cas de pi : nous savons depuis 1882, grâce à la preuve du mathématicien Ferdinand Von Lindemann, que le nombre pi est un nombre irrationnel. Ainsi, aucune périodicité dans ses décimales. C’est assez fascinant de pouvoir calculer les décimales d’un nombre irrationnel. Celles du nombre pi ne semblent suivre aucun ordre, on dirait même qu’elles sont distribuées au hasard… Mais là, il s’agit d’un autre mystère mathématique !
Merci Claire, pour cette belle idée, aller vers l’infini et au-delà. Mais oui, vraiment ! Il existe toujours un infini plus grand que celui que vous considérez ! Buzz l’Éclair peut donc sans doute partir dans son vaisseau de l'ensemble infini des nombres entiers en direction de l’ensemble infini mais plus grand des nombres réels et d'autres encore plus gros [3]. Ce qui rendrait absolument jaloux tous les mathématiciens.
En réalité, ce qui intéresse grandement les mathématiciens, c’est de savoir s'il y a une étape intermédiaire. Car aujourd’hui, on ne connaît pas d’infini de taille intermédiaire. Est-ce qu’il existe des ensembles dont les tailles sont comprises entre les infinis en bijection avec ℕ et ceux en bijection avec ℝ ?L’hypothèse de leur absence est appelée l’hypothèse du continu.
Depuis plus d’un siècle, les mathématiciens et logiciens pensaient que cet énoncé était indécidable, que nous n’avions pas les fondements logiques suffisants pour pouvoir répondre à cette question. Mais voilà que très récemment, de nouvelles avancées ont été réalisées dans ce domaine. L’équipe de recherche de Hugh Woodin a réussi à trouver une nouvelle manière d’aborder le problème, qui permet de progresser. Il semblerait qu’elle soit sur le point de pouvoir prouver que l’hypothèse du continu est vraie ! Qu’il n’y a pas d’intermédiaire entre les deux infinis, soit l’un soit l’autre ! Voilà une affaire à suivre…
Au Palais, nous attendons le retour de Buzz l’Éclair depuis l’infini et l’au-delà, pour qu’il nous raconte son voyage et ce qu’il a vu entre les deux infinis. Mais il semblerait qu’il ne soit pas pressé. En ce moment, d’après notre correspondant dessinateur Guillaume, il discute du cardinal de l’infini non dénombrable avec un collègue.
Est-ce que vous la reconnaissez ? Ella, 11 ans, a représenté Katherine Johnson, que l’on peut identifier grâce au logo de la NASA à droite, ou bien à la rampe de lancement qui est derrière elle et à laquelle est arrimé le vaisseau spatial de la mission Apollo 11. Vous l’aviez peut-être reconnue si vous avez vu le film Les figures de l’ombre. C’est ce film qui a fait, justement, sortir de l’ombre cette mathématicienne. Katherine Johnson a commencé sa carrière en tant que véritable calculatrice humaine. Elle a rejoint une équipe de femmes dont le travail principal était de lire les données conservées par les boîtes noires des avions. Katherine surnommait ces femmes des ordinateurs à jupes.Puis petit à petit, malgré son genre et sa couleur de peau, elle a réussi à s’imposer dans un milieu d’hommes blancs. Elle a ainsi rejoint le camp des mathématiciens, ou plutôt des ingénieurs, et cela grâce à ses connaissances pointues en géométrie analytique, c’est-à-dire la science de la transformation des trajectoires en équations.Elle a notamment calculé la trajectoire de l'astronaute John Glenn, premier homme en orbite autour de la Terre lors de la mission Mercury-Atlas 6. Cela exige une connaissance pointue de l’infini, mais cette fois-ci de l’infiniment petit, car une infime erreur de degré de la trajectoire, et l’astronaute est perdu, perdu dans un espace très, très grand…
Nous avons commencé par manger un gâteau sans fin et nous terminerons par un escalier sans fin. Merci à Camil pour sa représentation de l’escalier sans fin électrique.
Regardez attentivement le dessin. Choisissez d’abord une marche et puis choisissez de monter ou descendre l’escalier. Cela dépend de votre sens de rotation : dans un sens vous montez, dans l’autre vous descendez. Vous franchissez les trois premières rampes, vous êtes toujours en train de monter ou descendre…Et voilà qu’en attaquant la quatrième rampe, vous revenez à votre point de départ, bien que vous n’ayez jamais cessé de monter ou descendre.Étrange, non ? On doit cette illusion d’optique à Roger Penrose. Il joue sur l’utilisation de la perspective, c’est-à-dire des codes de représentation d’un objet en trois dimensions sur une feuille en deux dimensions. Ces codes permettent de représenter un objet en trois dimensions de façon imparfaite : cela marche parfaitement, mais pour un unique point de vue. Il est ainsi possible de représenter deux objets en trois dimensions (un escalier qui monte et un autre qui descend) en utilisant le point de vue qui permet de les confondre presque. Un simple trait permet de fusionner les deux dessins pour produire une illusion ambiguë pour notre cerveau, qui verra les deux dessins en même temps.
Il est très intéressant d’accompagner ce dessin de son illusion acoustique homologue, un son qui monte et qui descend en permanence… Cela est rendu possible grâce à la création d’une gamme de notes particulière, la gamme Shepard du nom de son inventeur. L’illusion sonore qui utilise cette nouvelle gamme a été créée par François Rousset. Vous pouvez la trouver ici [4].
Et voilà, je termine ici mon billet, accompagnée d’un son qui monte et descend infiniment, mais sans l’illusion de pouvoir le continuer ce billet jusqu’à l’infini.
Un magnifique dessin de Jim, qui est arrivé Jeudi. Je le rajoute en fin de billet pour terminer par une petite énigme.
Pour rappel, nous sommes donc le 16 avril 2020 aujourd’hui, c’est le 30e jour de confinement, et nous venons d’apprendre que nous allions rester confinés jusqu’au 11 mai minimum. Il nous reste donc au moins 25 jours de confinement. Une situation qui se prête bien au calcul.Alors oui, bien sûr, si chaque jour la date de fin de confinement était décalée de 2,4 jours, on ne sortirait jamais… Voire même pire, le nombre de jours nous séparant du déconfinement ne cesserait d’augmenter, d’exactement 1,4 jour par jour, et ce temps deviendrait donc infini. Ce serait aussi le cas si cette date était décalée de 1,000 000 000 000 0…000 000 01 jour par jour.En revanche, si on augmentait cette date d’exactement 1 jour par jour, le nombre de jours restant avant le déconfinement serait toujours le même, si bien que nous ne sortirions jamais de notre confinement, mais aurions une échéance constante…
Et si nous augmentions cette date de seulement 0,999 999 999 999 999 999 999… jour par jour ?
Pas si simple… Si le nombre de 9 est fini, nous resterions confinés très longtemps, mais nous finirions par en sortir. S’il est infini… nous ne sortirions jamais.On peut dans certains cas calculer la date de sortie. Par exemple, si l’on augmentait cette date d’exactement 0,8 jour par jour à partir d’aujourd’hui, 16 avril, à quelle date pourrions-nous sortir du confinement ?
Un grand merci à Olivier Longuet pour cette belle bande dessinée. Celle-là se passe de commentaires, tout se trouve dans les bulles et les cases !